En , Mediapart publie une enquête sur sa relation avec le réalisateur Christophe Ruggia, à partir du tournage des Diables (2002) : elle accuse ce dernier d'attouchements et de harcèlement sexuel alors qu'elle avait entre 12 et 15 ans, accorde un long entretien filmé à Mediapart à ce sujet, puis porte plainte. De nombreux observateurs estiment que la prise de parole d'Adèle Haenel constitue un tournant majeur pour l'émancipation des femmes dans le cinéma français et plus largement, dans le prolongement du mouvement MeToo.
Elle met par la suite un terme à sa carrière d'actrice dans le milieu du cinéma, qu'elle critique comme étant l'un des rouages destinés à « rendre désirable »« l'ordre bourgeois » et le capitalisme. Elle entend se concentrer sur le théâtre afin de privilégier des environnements moins assujettis à un système qu'elle juge « réactionnaire, raciste et patriarcal ». Dans le même temps, elle se fait remarquer par sa participation au mouvement contre la réforme des retraites et son militantisme d'extrême gauche.
Dès l'âge de 5 ans, elle commence des activités théâtrales et imite les personnages de dessins animés de Tex Avery[7]. Durant ses études, elle suit en parallèle des cours de théâtre à Montreuil et entre en classes préparatoires économiques et commerciales au lycée Montaigne[8], à Paris. Échouant aux concours[9], elle poursuit par des études de sociologie et d'économie à l'université jusqu'au master[10],[11]. Éprouvant peu d'attrait pour une vie de cadre en entreprise, elle déclare :
« Je n’ai pas de mépris pour les gens qui choisissent cette vie. […] Ma chance a été de faire du cinéma, de rencontrer des gens qui m’ont sortie de l’horizon bouché qui consistait à penser que l’espoir de ma vie était un CDI[9]. »
Elle poursuit en parallèle de son métier d'actrice des études de physique et de biologie marine[12].
Carrière cinématographique et théâtrale
Premier rôle et première rupture avec le cinéma (2000-2005)
En 2000, à l'âge de onze ans[13], Adèle Haenel accompagne son frère lors d'un casting sauvage[14] et décroche son premier rôle dans Les Diables[10], alors qu'elle « n’envisageai[t] pas une seconde faire ce métier »[15].
Le film raconte l’amour incestueux de deux orphelins fugueurs, Joseph (Vincent Rottiers) et sa sœur Chloé (Adèle Haenel), autiste, muette et allergique au contact physique, récit inspiré en partie de la vie du réalisateur Christophe Ruggia[13]. Ce dernier, assisté par sa sœur Véronique Ruggia, réalise un travail de six mois en amont du tournage avec les deux jeunes acteurs, afin de « les mettre en confiance pour qu’ils puissent jouer des choses difficiles : l’autisme, l’éveil à la sensualité, la nudité, la découverte de leur corps »[13]. Il explique que de la préparation à la promotion du film, c’est « près d’une année où les enfants sont détachés de leur famille »[13]. Le film sort en 2002.
En 2005, Adèle Haenel, désormais lycéenne et encouragée par son petit ami de l'époque à qui elle s'était confiée, décide de rompre tout contact avec Christophe Ruggia, après une rencontre avec lui « qui a changé des autres », selon son petit ami. D'après le jeune homme, Adèle Haenel lui rapporte à cette occasion des « déclarations d’amour culpabilisantes » du réalisateur, son « emprise permanente » et « des scènes où elle avait été mal à l’aise, seule, chez lui[13]. » En 2019, elle déclare : « J’avais rencontré ce garçon, commencé à avoir une sexualité et la fable de Christophe Ruggia ne tenait plus[13]. » À cette époque, elle dit n'avoir pas vu « d’autre issue que la mort de lui ou [elle], ou bien le renoncement à tout », et prend finalement la décision de couper les ponts avec le milieu du cinéma, ce qui lui procure le sentiment de « renoncer à énormément de choses » et à « une partie d’[elle]-même », ainsi qu'un « énorme mal-être » : dépression, pensées suicidaires, et une « peur » viscérale de croiser Christophe Ruggia[13]. Elle évoque dix années « à bout de nerfs », où elle ne tenait « presque plus debout »[13]. Sa famille croit alors à une crise d'adolescence, mais sa mère soupçonne déjà « un abus » de Christophe Ruggia[13]. Elle décide alors de se plonger « à fond » dans des études de philosophie, « pour que plus jamais personne ne pense à [sa] place »[13]. Avant de livrer son témoignage à Mediapart en 2019, elle confiera lors d'interviews que le tournage des Diables a été une épreuve douloureuse pour elle et qu'il lui est impossible de regarder ce film, évoquant le danger de la « mainmise » du réalisateur « qui t’a amenée vers la lumière, qui t’a amenée la connaissance », son pouvoir de « façonner un acteur », ou encore une expérience « traumatique », « incandescente, folle, tellement intense qu’après [elle a] eu honte de ce moment-là[13]. »
En 2019, dans l'enquête de Mediapart menée par Marine Turchi, plusieurs proches de l’actrice décriront « l’emprise » du metteur en scène qui s’est nouée dans ce « conditionnement » et cet « isolement » lors de la préparation du film. D'autres affirment n'avoir « rien remarqué », comme la monteuse du film qui décrit une « relation paternelle sans ambiguïté » avec Adèle Haenel. Selon cette dernière, après le tournage, cette « emprise » a ouvert la voie entre 2001 et 2004 à des faits qui l'ont conduite en 2019 à porter plainte contre le réalisateur pour attouchements et harcèlement sexuel[13].
Christophe Ruggia affirme, quant à lui, qu'Adèle Haenel lui a annoncé qu'elle coupait les ponts avec lui après qu'il lui a annoncé qu'un projet de film dans lequel il comptait la faire jouer était abandonné[16].
Premières récompenses et nominations (2006-2012)
Adèle Haenel renoue avec le cinéma dans Naissance des pieuvres, le premier film de Céline Sciamma (photo) avec qui elle entame alors une relation amoureuse.
En 2006, Christel Baras, directrice de casting du film Les Diables, qui se dira plus tard « malade de ce gâchis et d’avoir recruté Adèle pour le film de Christophe Ruggia », la sollicite pour incarner Floriane, la capitaine d'une équipe de natation synchronisée dans Naissance des pieuvres, le premier film de Céline Sciamma[13],[17]. En acceptant le rôle, elle fait part à Céline Sciamma de « problèmes » survenus sur son précédent film et se confie pour la première fois à ce sujet[13]. Pour ce rôle, elle est citée aux César 2008 dans la catégorie « meilleur espoir féminin »[18],[19].
En 2009, elle tourne en Suisse le téléfilm Déchaînées de Raymond Vouillamoz pour lequel sa prestation sera multi-primée dans les festivals de télévision.
En 2015, elle reçoit le César de la meilleure actrice pour son rôle dans Les Combattants de Thomas Cailley[22], ainsi que le prix Romy-Schneider. Libération note à cette occasion qu'elle est une « fonceuse », comptant « déjà 14 films à son actif (dont 10 en sélections à Cannes) », et qu'« elle est passée rapidement d’enfant prodige à grand espoir », avant de connaître « tous les succès »[6].
Poursuite avec des réalisateurs renommés du cinéma indépendant (2016-2020)
Fin 2016, elle interprète une jeune médecin dans le film La Fille inconnue des frères Dardenne[27],[28]. Ceux-ci ont réécrit le rôle, d'abord écrit pour un personnage plus âgé, après l'avoir rencontrée fortuitement[29],[30]. Elle a ainsi, selon eux, joué un rôle déterminant dans le projet : « Sans Adèle Haenel, il n'y aurait pas eu de film »[31].
Lors du Festival de Cannes 2019, l'actrice est présente dans trois films : Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, en compétition officielle, Les héros ne meurent jamais d'Aude Léa Rapin durant la Semaine de la critique et Le Daim de Quentin Dupieux, qui a ouvert la Quinzaine des réalisateurs[33]. 20 minutes souligne que « ces trois films témoignent de la versatilité de la comédienne qui aime les nouvelles expériences tout en restant fidèle à Céline Sciamma qui l’avait dirigée dans Naissance des pieuvres »[34]. Au sujet du film LeDaim, Adèle Haenel indique avoir eu « une grosse réserve par rapport à l'absence de féminisme dans les films de Quentin Dupieux » et avoir accepté le rôle après s'être assurée de pouvoir réinterpréter son personnage « pour qu’il corresponde à [ses] idées féministes »[35],[34]. Écrit pour elle par son ancienne compagne Céline Sciamma, Portrait de la jeune fille en feu, qui raconte une histoire d'amour au XVIIIe siècle entre son personnage d'Héloïse, qu'on s'apprête à marier, et la peintre Marianne (interprétée par Noémie Merlant), s'impose selon elle comme son film majeur, indiquant : « C'est comme s'il était le terreau de mes dix années d'actrice »[36],[37].
En 2020, après la nomination de Portrait de la jeune fille en feu aux Golden Globes, Adèle Haenel signe avec Creative Artists Agency, la plus grosse agence d'artistes à Hollywood[38]. Le 29 juin, elle est recrutée par l'Académie des Oscars pour faire partie des 819 nouveaux votants[39],[40].
Fin de carrière cinématographique, choix du théâtre
En mai 2022, alors qu'elle joue dans une pièce de théâtre à Milan, elle annonce lors d'une interview pour Il Manifesto sa décision de ne plus travailler pour des cinéastes établis[41]. Elle indique cependant deux exceptions à la règle : tourner pour Céline Sciamma ou pour des artistes débutants. Elle déclare se consacrer désormais au théâtre et à l'aide aux victimes d'abus[42],[43],[44]. Sa volonté de s'éloigner du cinéma « mainstream »[45] est concomitante à son départ du nouveau film de Bruno Dumont, L'Empire, un projet qu'elle considère comme intentionnellement raciste et réactionnaire, avec un scénario « truffé de blagues sur la cancel culture et les violences sexuelles » et un mépris délibéré des victimes et « personnes en situation de faiblesse »[46].
En mai 2023, elle confirme lors d'une lettre ouverte adressée à Télérama arrêter définitivement sa carrière au cinéma[48],[49] après quatre ans d'absence, pour dénoncer, écrit-elle, « la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels et […] la manière dont ce milieu collabore avec l'ordre mortifère écocide raciste du monde ». Elle dénonce le rôle du cinéma dans la société, « celui de rendre l'ordre bourgeois aussi naturel que le bleu du ciel », et déclare : « Continuer de rendre désirable ce système est criminel[50]. »
Rôles et jeu d'actrice
Le talent d'Adèle Haenel est décelé tôt dans sa carrière : de nombreux témoins du milieu de cinéma, dont la directrice de casting Christel Baras qui l'a découverte puis remise en selle, disent qu'elle est « une actrice née »[51],[52]. Lorsqu'en 2015, Adèle Haenel remporte un César pour son rôle dans Les Combattants, Le Figaro évoque une « ascension fulgurante » et relève que les dithyrambes à son égard affluent : « la future Isabelle Adjani », « une actrice qui peut tout jouer », « une présence et une intensité incroyables »[53]. Le quotidien 20 minutes la présente alors comme la « nouvelle coqueluche du cinéma[54] ». Pour L'Express, Adèle Haenel est une « actrice fascinante […] brillante »[17], et pour France-Soir, elle est promise à un « bel avenir » : en effet, les « films forts, souvent encensés, pas forcément très populaires » auxquels elle a participé laissent pronostiquer que « sa carrière risque d'être plus qu'un feu de paille[18]. »
Libération la décrit comme une « introspective hors normes » et « sa démarche est à la fois puissante et gracieuse » ; elle est « duale », « aussi ronchon qu’extasiée, rigoureuse que rêveuse, masculine que féminine[55]. » Selon Thomas Cailley, le réalisateur du film Les Combattants, « elle a un visage qui peut changer d'une seconde à l'autre », pouvant passer d'« un visage d'enfant » à « celui d'une jeune femme plus mûre »[54]. Il dit d'elle qu'elle est un « mélange de femme fatale et d’ado brutasse »[5]. Adèle Haenel est décrite par Ouest-France comme un « génie précoce », une actrice « instinctive et physique »[56].
Son « physique athlétique[18],[54] » est remarqué. André Téchiné, qui la dirige dans L'Homme qu'on aimait trop, considère qu'elle « a une telle puissance physique qu'elle donne une impression d'athlète, de géante », et que « graphiquement, elle a quelque chose d'assez surprenant qui n'appartient qu'à elle[57]. » Elle-même déclare : « La dépense physique, c'est génial, c'est la base du jeu. […] C'est beau, on se sent vivant, j'aime[54]. » André Téchiné et Pierre Salvadori, qui la dirige dans En liberté !, voient respectivement en elle « un fort potentiel burlesque »[57] et « une pure actrice burlesque »[58], registre pour lequel elle fait part de son affection : « C’est dynamique, c’est le plaisir du jeu à l’état pur[59]. »
Par ailleurs, pour Libération, elle est une « réflexive » qui cite le philosophe Gilles Deleuze et « théorise beaucoup »[55].
Pour décrire le « “style” Haenel », Emily Barnett, critique aux Inrockuptibles, évoque « un corps élégant et délié de géante, une voix heurtée, un air parfois ronchon, de temps à autre de drôles de contractions du visage, des yeux ronds, d’un bleu-vert limpide, un sourire à tomber[51]. » Retraçant sa carrière en 2019, elle présente Adèle Haenel comme « l'anti-femme-objet, s'inventant et s’érigeant peut-être, consciemment ou non, contre son ancienne agression. Après nageuse, Adèle Haenel sera, dans le désordre, survivaliste apprentie militaire (Les Combattants), lieutenante de police (En liberté !), militante engagée (120 Battements par minute), Parisienne révolutionnaire (Un peuple et son roi)[51]… » Elle souligne également ses rôles qui visent à « dénoncer l’aliénation des femmes, par exemple dans le film de Bertrand Bonello, L’Apollonide – Souvenirs de la maison close, où elle incarne une prostituée singeant, dans une fameuse scène, un automate afin de complaire au fantasme morbide d’un client[51]. »
Prenant le parti du regard féminin développé par Céline Sciamma dans Portrait de la jeune fille en feu, Adèle Haenel évoque « des images dont on manque en tant que femmes », et conteste l'aspect « neutre » du regard masculin (male gaze) : « Il faut dire que ce regard a une origine et un rapport avec la domination masculine[5]. »
Vie privée
Adèle Haenel fait son coming out en tant que lesbienne lors de son discours, après avoir reçu le César de la meilleure actrice dans un second rôle pour le film Suzanne le [60],[61]. Elle rend alors publique sa relation avec la réalisatrice Céline Sciamma, avec qui elle a tourné pour la première fois dans Naissance des pieuvres[13],[61]. Elles se sont séparées à l'amiable en 2018[62], avant le début du tournage de Portrait de la jeune fille en feu, leur deuxième film ensemble[63],[64]. Haenel et Sciamma sont restées amies après avoir mis fin à leur relation[63],[62]. Haenel a déclaré au journal italien Il manifesto en avril 2022 que la seule cinéaste établie avec laquelle elle pourrait à nouveau travailler au cinéma est Sciamma, « car notre relation va au-delà du travail, mais cela devra être dans un autre système économique[65]. »
Affaire Christophe Ruggia
Cette section est liée à une affaire judiciaireen cours. Le texte peut changer fréquemment, n'est peut-être pas à jour et peut manquer de recul. N'hésitez pas à participer à l'écriture de synthèse de manière neutre et objective, en citant vos sources. N'oubliez pas que, dans nombre de systèmes judiciaires, toute personne est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement et définitivement établie.
Le 3 novembre 2019, Mediapart publie une enquête sur la relation entre Adèle Haenel et le réalisateur Christophe Ruggia. L'actrice accuse le réalisateur d'« attouchements » et de « harcèlement sexuel » alors qu'elle avait entre 12 et 15 ans et se rendait chez lui les week-ends. Le 4 novembre 2019, Christophe Ruggia fait l'objet d'une procédure de radiation par la Société des réalisateurs de films[66]. Le même jour, Adèle Haenel livre un long entretien filmé à Mediapart. Elle explique pourquoi elle n'avait initialement pas porté plainte contre Christophe Ruggia, affirmant que la justice est défaillante dans le genre de cas qui la concerne. Le parquet s'autosaisit de l'affaire, sur les chefs d'accusation de « harcèlement sexuel » et d'« agression sexuelle »[67]. Après avoir été auditionnée, Haenel décide finalement de porter plainte, le . Après quatre ans d'investigation, le parquet de Paris requiert un procès contre Christophe Ruggia pour agression sexuelle sur mineure et demande son renvoi en correctionnelle. Deux circonstances aggravantes sont retenues par le parquet : la minorité d'Adèle Haenel lors des faits et la position d'autorité de Christophe Ruggia[68],[69].
La prise de parole d'Adèle Haenel constitue un événement pour l'émancipation des femmes dans le cinéma et au-delà. Elle semble bouleverser en particulier le milieu du cinéma français, au sein duquel les principales instances représentatives et de grandes figures lui apportent leur soutien[70].
Prises de position politiques
Adèle Haenel est connue pour son engagement politique à l'extrême-gauche[71] et son engagement féministe[5],[72].
Premières prises de positions
Adèle Haenel indique avoir « beaucoup manifesté pendant [ses] années lycées contre le CPE et la loi Fillon »[73]. Début 2016, elle se rend à Nuit debout, place de la République à Paris, mouvement pour lequel elle indique avoir « eu une forme de sympathie immédiate ». Elle dit par ailleurs avoir « envie de [s]’engager pour les réfugiés »[73].
À l'occasion de l'élection présidentielle de 2022, elle se rapproche publiquement du parti trotskisteRévolution permanente (RP ; jeune scission du NPA), elle participe à la campagne de son candidat Anasse Kazib. Ce dernier ne parvient cependant pas à obtenir les parrainages suffisants pour déposer sa candidature. Elle participe ensuite à plusieurs conférences du parti. En , elle explique être devenue anticapitaliste : d'abord « mobilisée sur les questions de féminisme [...], tu te rends compte que les systèmes sont liés » car « aucune émancipation n'est possible dans le cadre du capitalisme »[78].
Adèle Haenel figure aussi parmi les signataires d'une tribune publiée dans Politis[85], qui juge notamment que les femmes seront les premières victimes de la réforme[86].
Elle est présente avec d'autres personnalités à un rassemblement de soutien aux grévistes de la raffinerie de Normandie en mars 2023[87].
Féminisme
En , elle fait partie des 300 personnalités qui fondent le collectif 50/50, lancé par l'association « Le Deuxième regard » et dont le but est d'envisager une plus grande égalité entre hommes et femmes dans le milieu du cinéma, en profitant des suites de l'affaire Weinstein pour « transformer un moment en mouvement », en « dépassant le seul sujet des violences sexuelles » pour « avancer sur des mesures concrètes »[88],[89].
Elle participe à la marche contre les violences sexuelles et sexistes, qui se tient à Paris le [90]. Dans les cortèges, de nombreuses pancartes lui rendent hommage pour son témoignage dans Mediapart quelques jours plus tôt, ou citent ses propos[90].
En , dans une interview consacrée à son témoignage contre Christophe Ruggia, elle déclare qu'« il n’y a pas assez de moyens alloués pour changer la situation » au sujet de l'égalité femmes-hommes et met en cause la présence au gouvernement d'« un représentant qui a été accusé par différentes femmes d’agressions sexuelles et d’abus de faiblesse », faisant allusion à Gérald Darmanin[91].
En octobre 2023, elle signe une pétition affirmant que « la libération de la Palestine est aussi une cause féministe », en attribuant l'origine des violences à « la situation coloniale en Palestine, qui dure depuis plus de 75 ans qui est à la racine de toute cette violence »[92].
Les mois précédents, Adèle Haenel avait déjà dénoncé le « cas emblématique » de la situation de Roman Polanski lors de son entretien filmé de novembre 2019 pour Mediapart, puis apporté son soutien à Valentine Monnier, en saluant l’émergence d’une « nouvelle prise de conscience », lorsque celle-ci avait formulé une nouvelle accusation de viol contre Roman Polanski[97]. Quatre jours avant la cérémonie, Adèle Haenel déclare au New York Times que distinguer Polanski serait « cracher au visage de toutes les victimes » et que la France « a complètement raté le coche » du mouvement #MeToo[98]. De leur côté, alors que des féministes ont appelé à une manifestation de protestation devant les lieux de la cérémonie le soir même, Roman Polanski et son équipe annoncent qu'ils n'assisteront pas à la cérémonie[99]. Alain Goldman, le producteur du film de Roman Polanski, déclare regretter « une escalade de propos et comportements déplacés et violents »[100].
« Merci Adèle Haenel » ; « Cinéma : protecteurs de violeurs ». Collages féministes en France en 2020.
Selon la presse, Adèle Haenel et Roman Polanski symbolisent le « grand fossé » ou la « fracture ouverte » qui traverse le cinéma français, et qui se voit aggravée par la récompense attribuée au réalisateur de J'accuse[108],[109]. Le Monde estime que ce départ « est venu acter [une] fracture profonde dans le milieu du cinéma français » entre les partisans d'une séparation entre l'homme et l'œuvre et ceux qui voient en Roman Polanski un symbole des violences faites aux femmes. Le quotidien relève également qu'à l'exception de Swann Arlaud, récompensé le soir même du César du meilleur second rôle masculin, qui déclare à l'issue de la cérémonie qu'Adèle Haenel a « eu raison de partir » de la salle, les réactions indignées face à l'attribution du César au réalisateur de J'accuse sont majoritairement venues de femmes[110]. L'universitaire Iris Brey considère plus largement que la polémique « symbolise la fracture de la société », à savoir « l’affrontement entre un ancien monde en train de s’effriter face à des hommes et à des femmes qui ont envie de réfléchir aux représentations »[111].
Débat public autour du départ d'Adèle Haenel
Quelques jours après, la romancière Virginie Despentes célèbre la démarche d'Adèle Haenel dans un pamphlet intitulé « Désormais on se lève et on se barre », publié par le quotidien Libération[112] et largement commenté[113]. Franck Riester, ministre de la Culture, déclare que « célébrer » Roman Polanski est un « mauvais signal », et qu'il « pouvait comprendre » la réaction « de colère » d'Adèle Haenel[110]. Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, affirme qu'elle aurait elle aussi quitté la salle au moment de l'attribution du César à Roman Polanski[110]. Sara Forestier, qui était présente à la cérémonie, déclare le lendemain qu'elle aurait dû quitter la salle elle aussi[114].
Par contre, Fanny Ardant, qui a reçu le César de la meilleure actrice dans un second rôle lors de la cérémonie, félicite Roman Polanski, tandis qu'Isabelle Huppert et Lambert Wilson critiquent la virulence à l'égard du cinéaste, la qualifiant de « lynchage » et jugeant le départ d'Adèle Haenel « contraire à la règle du jeu »[110],[115]. Furieux de la réaction d'Adèle Haenel et en soutien à Lambert Wilson, Olivier Carbone, un directeur de casting, promet à Adèle Haenel la fin de sa carrière dans un message très violent (dans lequel, comme Lambert Wilson, il s'en prend aussi à Florence Foresti, lui reprochant d'insulter l'un des plus grands cinéastes) qu'il met en ligne sur sa page Facebook, avant d'en modifier la teneur[116]. Gilles-William Goldnadel, essayiste et avocat, publie une critique corrosive de certains propos tenus par l'actrice et déclare qu'il était à la portée d'Adèle Haenel « de savoir faire la différence entre célébrer un réalisateur talentueux et honorer un homme discutable »[111],[117].
Lors du défilé parisien de la Journée internationale des femmes qui se tient une semaine après la cérémonie des César, la réaction d'Adèle Haenel, présente avec notamment Céline Sciamma ou encore Aïssa Maïga, est largement saluée par les manifestants[118].
↑Adèle Haenel explique les circonstances de son geste quelques jours plus tard : « J’étais énervée mais je n’aurais pas pété les plombs s’il n’y avait eu ce mec derrière moi qui a crié ‘Bravo Roman !’ quand Polanski a gagné. Ça a été l’élément déclencheur. J’ai dit ‘c’est la honte’, Céline m’a répondu ‘viens on se casse’, et je me suis levée. » – cf. François Léger, « César 2020 : Adèle Haenel explique pourquoi elle a quitté la salle », sur premiere.fr, (consulté le ).
↑« Accusé par Adèle Haenel, Christophe Ruggia est mis en examen pour "agressions sexuelles sur mineur de 15 ans" », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le ).
↑« Adèle Haenel : qu’est-ce que Révolution permanente, le collectif d’extrême gauche que l’actrice a rejoint ? », La Croix, (ISSN0242-6056, lire en ligne, consulté le )
↑« Réforme des retraites : Annie Ernaux, Adèle Haenel et une centaine de personnalités protestent contre un projet « terriblement inégalitaire » », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le ).
Collectif, Histoires d'Adèle H. : à propos d’Adèle Haenel, du jeu, des films, du hors-champs, de regard et autres réflexions, Éditions de l'Œil, coll. « Mémoire de César », , 128 p. (ISBN978-2-35137-178-7).