Il fut l'un des artistes les plus prolifiques du siècle et connut les plus grands succès sous le Second Empire, bénéficiant du soutien personnel de Napoléon III[1]. Son œuvre a été grandement influencée par le style de la Renaissance italienne et par celui du XVIIIe siècle, qu’il contribua à remettre au goût du jour.
Carrier-Belleuse a fortement contribué à l’amélioration des arts décoratifs et industriels. De son atelier no 15 rue de la Tour d'Auvergne à Paris dans lequel ont travaillé un grand nombre d’artistes parmi lesquels figure Auguste Rodin, est sortie une quantité prodigieuse de statuettes décoratives.
Carrier-Belleuse fut, vers la fin de sa vie, directeur des travaux d’art de la Manufacture de Sèvres. Son passage fut marqué par le renouvellement des collections et la modernisation du style.
Fils de Louis-Joseph-François Carrier de Belleuse, notaire, et de Louise-Françoise-Eulalie Eudelinne, Albert-Ernest Carrier de Belleuse nait le à Anizy-le-Château, dans l’Aisne. Son père disparaît en 1834, laissant la famille dans une situation précaire. Les frères François et Étienne Arago, cousins de la famille, prennent alors en charge son éducation. En 1837, le jeune Carrier-Belleuse entre en apprentissage dans l’atelier du ciseleur Bauchery. Il est admis peu après chez l'orfèvre Jacques Henri Fauconnier (1776-1839).
Par l'entremise de François Arago, il fait la rencontre du sculpteur David d'Angers qui lui facilite l’admission à l’École des Beaux-Arts. Carrier-Belleuse y entre le . Remarqué pour son habileté par les grandes maisons de bronze de Paris comme Barbedienne et Denière, il ne tarde pas à recevoir de nombreuses commandes de modèles pour des candélabres, des pendules, des garnitures de cheminées, etc.
En 1848, probablement à l’initiative de François Arago, président de la « commission exécutive » (Gouvernement provisoire), Carrier-Belleuse reçoit sa première commande publique pour une petite statue de Mademoiselle Rachel chantant La Marseillaise. C’est à cette même époque que commence sa liaison avec Anne-Louise Adnot[2] (1821-1903), aquarelliste, veuve de Baudesson marchand de tableaux, qu’il épouse le 9 juillet 1851 à Marylebone (Londres). La même année, il participe pour la première fois au Salon des artistes français, où il présente deux médaillons de bronze.
De 1851 à 1855, Carrier-Belleuse séjourne en Angleterre, à Stoke-on-Trent où il exerce la fonction de directeur de l'école de modelage et de dessin de la maison Mintons, grande manufacture de porcelaine.
La carrière
De retour en France, il s’installe à Paris dans un vaste atelier situé au 15 rue de la Tour d’Auvergne. À partir de 1857, il fait des envois réguliers au Salon et connaît la notoriété grâce au succès de grands marbres, comme la Bacchante exposée au Salon de 1863, et acquise par Napoléon III, Angelica (1866) ou encore Hébé endormie (1869). Au Salon de 1867, son groupe intitulé Le Messie, qui représente la Vierge soutenant au-dessus de sa tête l’Enfant-Jésus, lui vaut la médaille d’honneur de la sculpture. Il est acquis par l’État pour orner la chapelle de la Vierge en l’église Saint-Vincent-de-Paul.
Carrier-Belleuse acquiert en parallèle une grande renommée pour ses bustes de terre cuite qui, à bien des égards, rappellent ceux des artistes du XVIIIe siècle. Il exécute les portraits d’un grand nombre de célébrités de son temps et comme l’écrit Émile Langlade dans la notice qu’il consacre au sculpteur[3] : « On peut dire que toute la haute société artistique, littéraire, politique et mondaine du Second Empire et de la IIIe république est venue poser dans l’atelier de la Rue de la Tour d’Auvergne » ».
En 1873, Carrier-Belleuse participe au chantier de l’opéra de Paris dirigé par son ami Charles Garnier. Il réalise les deux torchères monumentales qui flanquent le grand escalier, dans le hall principal et les cariatides de la cheminée du grand foyer.
Directeur des travaux d'art de la Manufacture de Sèvres (1875-1887)
En 1875, Carrier-Belleuse est nommé directeur des travaux d’art de la Manufacture de Sèvres. Il y imprime une impulsion toute moderne qui se manifeste par la création d’une gamme complète de vases. Les formes nouvelles imaginées par le sculpteur comme celles du vase Saïgon, du vase Fizen ou encore du vase de Mycène rencontrent un vif succès aux expositions de l’Union centrale des arts décoratif de 1884.
Dans le domaine de la statuaire, Carrier-Belleuse présente quelques figures nouvelle éditées en biscuit : une Minerve, un buste de la République et un surtout de tableLe Retour des chasses.
Carrier-Belleuse a employé et formé dans son atelier de la rue de la Tour d’Auvergne de nombreux jeunes artistes de talent parmi lesquels on peut citer Alexandre Falguière, Jules Desbois, Eugène Delaplanche, Jules Dalou ou encore Joseph Chéret ; mais il est surtout connu pour avoir été le « maître » d’Auguste Rodin qui entre comme praticien dans son atelier en 1864. Le jeune sculpteur accompagne Carrier-Belleuse au chantier de la Bourse de Belgique en 1871 et entre, plus tard, en 1878, comme décorateur sur porcelaine à la manufacture de Sèvres. L’influence de Carrier-Belleuse sur son élève — son goût, en particulier, pour l'art du XVIIIe siècle — se remarque particulièrement dans les œuvres de jeunesse de Rodin comme la Jeune fille au chapeau fleuri[6].
L'œuvre la plus emblématique issue de la collaboration de Carrier-Belleuse avec Rodin est sans doute le Piédestal des Titans[7], dont on peut voir un exemplaire à Paris au musée Rodin, conçu par Carrier-Belleuse et exécuté par Rodin mais signé du seul nom du maître selon l’usage de l’époque. Rodin réalise en 1882 un buste de Carrier-Belleuse en terre cuite, qu’il expose au Salon la même année et dont l’original se trouve aujourd’hui à Stanford au Cantor Arts Center.
La grande rapidité d’exécution, la prolixité et la facilité d’imagination de Carrier-Belleuse furent à la fois admirées et moquées par ses contemporains. Ainsi, Honoré Daumier, ami du sculpteur le représente dans un portrait charge publié dans Le Boulevard du , sculptant deux bustes à la fois dans un atelier.
Selon Auguste Rodin, « Carrier-Belleuse avait quelque chose du beau sang du XVIIIe siècle ; il y avait du Clodion en lui ; ses esquisses étaient admirables ; à l’exécution, cela se refroidissait ; mais l’artiste avait une grande valeur réelle. »[11].
Pour le critique d'art Gustave Coquiot, « Ce Carrier-Belleuse était un sculpteur qui ne faisait que du chic ; mais il avait un goût très fin, très artiste, et il était, lui aussi, d’une habileté invraisemblable. C’était un type très allural, l’air d’un d’Artagnan. Ses ouvriers, il en occupait bien une vingtaine, copiaient à l’envi ses manières et son pantalon à vis, son chapeau vaste et ses souliers à boucles. Mais l’argent l’entraînait ; aussi, il inondait le Marais de statuettes et de dessus de pendules »[12].
Descendance
Marie Carrier-Belleuse enfant (1859), buste en terre cuite, Paris, musée d'Orsay.
Albert Carrier-Belleuse eut de son épouse Louise-Anne Adnot (1821-1903), une postérité nombreuse :
Suzanne (1847-1926) qui épousa le professeur Benjamin Ball ;
Honoré Daumier, Portrait en buste de Carrier-Belleuse, vers 1863, esquisse au fusain sur papier vergé, Paris, musée d'Orsay.
Honoré Daumier, Portrait-charge de Carrier-Belleuse, 1863, lithographie parue dans Le Boulevard du , no 21, page 5, Paris, Bibliothèque nationale de France.
Auguste Rodin, Buste de Carrier-Belleuse, 1882, terre cuite patinée, Stanford, Cantor Arts Center. Un autre exemplaire en terre cuite patinée se trouve à Paris au musée Rodin. La veuve de Carrier-Belleuse en fit faire un bronze pour orner la tombe de son époux. Une réduction en biscuit fut éditée en 1907 par la Manufacture de Sèvres.
Charles Paillet, Caricature de Carrier-Belleuse en Messie, 1884, aquarelle, Sèvres, Cité de la céramique.
↑Jules et Edmond de Goncourt, Journal des Goncourt : Mémoires de la vie littéraire, III, année 1867, G. Charpentier et Cie, éditeurs, 1888 [lire en ligne].