Le cardinal Suhard dénonce dès « le racisme hitlérien »[1]. Pendant l'Occupation, « plutôt enclin au pétainisme »[2], il pratique un « loyalisme sans inféodation »[3] envers le régime de Vichy, tout en laissant la liberté de conscience. La censure interdit ses déclarations publiées dans le bulletin diocésain[4]. Il ne proteste pas de manière spectaculaire pour ne pas entraîner des représailles envers les prêtres et les militants chrétiens[5]. Les occupants exigent qu'il exprime sa docilité au national-socialisme, ce mot n'est jamais venu[6].
Emmanuel Célestin Suhard est le fils d'Emmanuel Suhard et de Mme née Jeanne Marsollier (mariés le ). Enfant pieux et timide, fils d'une veuve qui dirige seule la ferme familiale, il est jugé « trop peu dégourdi pour faire un curé » par le curé de Brains-sur-les-Marches[réf. souhaitée]. En , il entre au petit séminaire de Mayenne (ses condisciples incluent Joseph Hamon). Il le quitte en pour entrer le au grand séminaire de Laval où il effectue des études qui lui valent une bourse pour le séminaire français de Rome. Il y est ordonné prêtre en .
Rome
Étudiant à Rome à l'université pontificale grégorienne, en même temps que le futur pape Pie XII et de Luigi Maglione, futur nonce en France. Il obtient un doctorat en théologie, un doctorat en philosophie et une licence en droit canonique. L'université grégorienne lui décerne la grande médaille d'or, distinction suprême.
De la Mayenne à Paris
Statue du cardinal Suhard à Brains-sur-les-Marches, son village natal
Nommé professeur de philosophie au grand séminaire de Laval, il enseigne la théologie. Grâce à ses qualités d'accueil et d'écoute, il exerce une influence sur le clergé mayennais, bien qu'il ne soit pas très en cour à l'évêché car il rejette l'« Action française ». Il s'en explique : « L'Action française est trop particulariste. Le prêtre est fait pour tout le monde et doit accueillir tout le monde. »
Réformé en , l'abbé Suhard est aumônier d'un hôpital militaire à Laval.
Il devient chanoine en , mais l'évêque, Eugène Grellier, très proche de l'Action française, le tient à l'écart et refuse de le nommer supérieur du grand séminaire. Neuf ans plus tard, Eugène Grellier sera obligé de le consacrer évêque, car en , Emmanuel Suhard est nommé évêque de Bayeux et Lisieux. Il est archevêque de Reims de à , et créé cardinal en . C'est l'un des six cardinaux français à participer au conclave de 1939 à l'issue duquel Pie XII est élu.
Il devient cardinal archevêque de Paris en et le reste jusqu'à sa mort en .
Seconde Guerre mondiale
Le siège archiépiscopal de Paris qu'il rejoint pendant l'exode de juin 1940 devient pour lui une lourde charge, où il subit les épreuves de l'époque. Dès juillet 1940, les Allemands perquisitionnent l'archevêché.
Comme la plupart des hauts dignitaires de l'Église de France, il donne son approbation à la politique de « régénération morale » du maréchal Pétain. Il négocie avec l'amiral Darlan, le ministre de l'Intérieur Pierre Pucheu et par l'intermédiaire d'Henri Dodier, le ministre de l'Éducation nationale Jérôme Carcopino, un système de financement par l'État de l'école privée catholique, qu'il obtient en . Les subventions sont réparties par les préfets, dans chaque département. Un horaire commode d'enseignement religieux facultatif est aussi instauré dans l'enseignement public[8].
Le , quelques jours après la rafle du Vél d'hiv, le cardinal Suhard adresse au maréchal Pétain, au nom des cardinaux et archevêques de France assemblés à Paris, la première protestation officielle de l'Église de France contre les persécutions dont sont victimes les juifs. Cette lettre n'est pas lue en chaire, comme le furent celles des évêques de Toulouse et de Montauban et de l'archevêque de Lyon un mois plus tard, mais diffusée parmi les curés[10].
Il approuve la déclaration des évêques de France du qui condamne « les appels à la violence et les actes de terrorisme, qui déchirent aujourd’hui le pays, provoquent l’assassinat des personnes et le pillage des demeures »[11] et accueille le maréchal Pétain à Notre-Dame, en , ce qui lui sera reproché à la Libération[12]. Alors même que la France est déjà partiellement libérée, il assiste à Notre-Dame aux funérailles nationales du ministre de l'Information et de la Propagande du gouvernement de VichyPhilippe Henriot, abattu par la résistance le [13].
Le , au lendemain de la capitulation allemande, le général de Gaulle revenait à Notre-Dame, non plus pour un Magnificat[16], mais pour le Te Deum de la victoire. Au portail de la cathédrale, il fut cette fois, accueilli par l'archevêque de Paris, souriant, le cardinal Suhard[17].
Le cardinal mentionnera discrètement des actions de l'Église qui ont été ignorées : « J'ai voulu, vous le savez, les aider autant que je le pouvais à se défendre contre l'injustice et la violence. […] je me suis efforcé de mettre en lieu sûr le plus grand nombre possible d'enfants et de faire porter secours aux malheureux internés du Vel'd'hiv', dans les camps de Pithiviers, Beaune-la-Rolande et Drancy[18]. Je n'hésite donc pas aujourd'hui à renouveler la protestation que je faisais entendre aux autorités officielles dès le 16 juillet en mon nom personnel, puis le 22 au nom de l'ACA. »
Le à 2 h 20 du matin, le cardinal Suhard meurt d'une congestion pulmonaire. La veille, le nonce apostolique à Paris Angelo Roncalli, futur pape Jean XXIII, lui avait rendu une ultime visite[19]. Le jour de ses obsèques à Notre-Dame de Paris, Madeleine Delbrêl présente sur le parvis, a regretté que le peuple de Paris n'ait pas pu rendre hommage au cardinal Emmanuel Suhard[20].
Le , un buste en bronze du cardinal est inauguré au grand séminaire de Laval, ainsi qu'une statue du prélat, le même jour à Brains-sur-les-Marches.
Volonté missionnaire
Pendant les vingt années de son épiscopat, il inspire, encourage et soutient un grand courant missionnaire, dont nombre de ses lettres pastorales, en particulier les trois dernières Essor ou déclin de l'Église, Le Sens de Dieu et Le Prêtre dans la cité s'en font l'écho. C'est à sa demande que fut publié, en 1943, un ouvrage de l'abbé Henri Godin : La France, pays de mission, qui eut un grand retentissement au sein de l'Église.
La fondation de la Mission de France en est l'œuvre dans laquelle il s'est impliqué le plus personnellement. Sur son lit de mort, le cardinal bénit une dernière fois les prêtres-ouvriers qu'il avait tant aimés.
« Au cours de la Journée mondiale des Missions d'aujourd'hui, notre attention se tourne avant tout vers Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face, que j'ai eu la joie de proclamer ce matin Docteur de l'Église universelle. Elle est un modèle d'engagement missionnaire et la Patronne des Missions bien qu'elle n'ait jamais quitté la clôture du carmel de Lisieux. […] Sa figure spirituelle et son message ont inspiré de nombreux instituts soucieux d'annoncer l’Évangile, en particulier la Mission de France, fondée en 1941 par le cardinal Suhard, qui est à l'origine de multiples initiatives missionnaires auprès des pauvres et dans le monde scientifique. »
En , les éditions Artèges rééditent la lettre Essor ou déclin de l'Église, préfacée par le cardinal archevêque émérite de Paris André Vingt-Trois. Cette lettre pastorale publiée en eut un retentissement jusqu'à Rome. Le pape Pie XII la qualifia d'encyclique digne d'un pape.
En , l'Église commémore le 70e anniversaire de la mort du cardinal Suhard. La chaîne KTO consacre le une émission de 52 minutesLa Foi prise au mot à la figure du cardinal. Le , une messe solennelle retransmise en direct sur la chaîne KTO est célébrée en l'église Saint-Gervais-Saint-Protais de Paris. Cette célébration initialement prévue à la cathédrale Notre-Dame de Paris avant l'incendie du , a été présidée par Matthieu Rougé, évêque de Nanterre, en présence de plusieurs archevêques. Le même jour, avec le diocese de Paris, les diocèses de Reims, Bayeux-Lisieux, Laval, Mission de France dans lesquels le cardinal Suhard a exercé ses ministères de prêtre et d'évêque ont célébré une messe solennelle en sa mémoire. Le journal La Croix consacre au cardinal, dans son édition du , un article Le cardinal Suhard, missionnaire en son pays relatant les étapes principales de sa vie, sa postérité missionnaire et ses trois dernières lettres pastorales.
Le précurseur de Vatican II
Ses trois dernières lettres pastorales notamment Essor ou déclin de l'Église () sont considérées comme « une sorte de « préface » des grands textes du concile Vatican II[22] sur le rôle des laïcs dans l'Église, le rôle missionnaire du prêtre dans l'annonce de l'Evangile, la nécessité d'adapter les formes de l'Église au monde moderne et le rôle d'évangélisateur que reçoit le laïc de par son baptême[23] ».
Le cardinal Suhard encouragea vivement Pierre Goursat à persévérer dans son engagement de laïc missionnaire. Celui-ci fonda quelques années après la mort du cardinal, la communauté de l'Emmanuel
↑Francine Edelstein, « Protestation et appel à la pitié : une démarche performative. Les lettres de prélats sur la déportation des juifs en 1942 », Argumentation et Analyse du Discours, no 24, (ISSN1565-8961, DOI10.4000/aad.3932, lire en ligne, consulté le )
↑Michèle Cointet, article Suhard (Emmanuel, cardinal), dans le Dictionnaire historique de la France sous l'occupation, sous la direction de Michèle et Jean-Paul Cointet, Tallandier, 2000, p. 659.
↑Frédéric Le Moigne, 1944-1951 : Les deux corps de Notre-Dame de Paris, Vingtième Siècle. Revue d'histoire 2003/2 (no 78) (lire en ligne), pages 75 à 88
« En 1944, de Gaulle suivait incontestablement les catholiques de la Résistance intérieure qui ne pardonnaient pas les actes d’allégeance de l’archevêque de Paris au dernier Vichy (participation aux obsèques nationales de Philippe Henriot, le 1er juillet 1944, malgré l’intervention personnelle de Georges Bidault à l’archevêché appuyée par le secrétaire particulier du cardinal, l’abbé Le Sourd). Comment, en outre, le nouveau chef de la France eût-il pu être accueilli par l’évêque qui avait introduit le maréchal Pétain à Notre-Dame, exactement quatre mois auparavant ? »
↑Jean Vinatier, le cardinal Suhard, Le Centurion, 1985, p. 217
↑Frédéric Le Moigne, « Chapitre 6. L’épiscopat face à la persécution des Juifs », dans Les évêques français de Verdun à Vatican II : Une génération en mal d'héroïsme, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », (ISBN978-2-7535-2331-9, lire en ligne), p. 119–131
↑Jean Vinatier, Le cardinal Suhard, éd. du Cerf, 1983, p. 428
↑Jean Vinatier, Le cardinal Suhard, éd. du Cerf, 1983, p. 325
↑« Le cardinal Suhard est mort cette nuit », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
Voir aussi
Bibliographie
Henri Dodier, À la recherche de la paix scolaire : quelques souvenirs sur S.É. le cardinal Suhard, archevêque de Paris, années 1940 à 1949, lettre-préface de Jérôme Carcopino, Laval, Goupil, 1953, in-16, 71 pages.
R. P. Humbert Boüessé, O.P., Biographie du cardinal Suhard, ouvrage non publié du fait de la mort de l'auteur, ancien élève de l'abbé Suhard au Grand Séminaire de Laval devenu religieux dominicain. Il a rassemblé lettres, papiers personnels et autres documents publics ou privés.
Discours prononcé par son excellence Mgr Chappoulie, évêque d'Angers, le 10 octobre 1953 à Brains-sur-les-Marches pour l'inauguration, Angers, H. Siraudeau, 1953.
Jean Vinatier, Le Cardinal Suhard, l'évêque du renouveau missionnaire 1874-1949, éd. Le Centurion.
Michel Rougé et Jean Pierre Guérend, Pionnier de la paix, le combat du père Bernard Lalande (ancien secrétaire du cardinal Suhard), éditions Nouvelle Cité.
Jean-Pierre Guérend, Le Cardinal Emmanuel Suhard, archevêque de Paris (1940-1949), Temps de guerre, temps de paix, passion pour la Mission, préface d'Émile Poulat, Éditions du Cerf, 2011, 2e édition revue et corrigée, juin 2012.
Roch-Etienne Noto, Priez 15 jours avec le cardinal Suhard, préface de Georges Gilson, prélat émérite de la Mission de France, Nouvelle Cité, 2009.