Gomidas Keumurdjian naît à Constantinople vers 1656. Il est le fils d'un prêtre arménien. Il étudie auprès de l'érudit Vartabed et, avant d'être ordonné diacre, il se marie vers l'âge de vingt ans et a sept enfants[1].
Comme son père, il devient lui aussi curé de l'Église apostolique arménienne ; il est responsable de l'église Saint-Georges de Galata. Ses prédications attirent un large public non seulement d'Arméniens, mais aussi de Grecs ottomans et de tellement de musulmans que Ter Gomidas doit régulièrement prêcher des sermons en langue turque[2]. Il est également poète, auteur de poésie chrétienne, et compose en vers une paraphrase des Actes des Apôtres[3].
En 1694, à quarante ans, Ter Gomidas et sa famille se convertissent à l'Église catholique arménienne[5]. Avec ses confrères prêtres Mekhitar Sebastatsi et Khatchatour Arakelian, Ter Gomidas devient rapidement une des forces motrices du mouvement catholique oriental parmi les Arméniens ottomans[6].
Pendant ce temps, le comte de Ferriol prévient plusieurs fois Ter Gomidas que sa vie est en danger et lui propose de l'aider, lui et sa famille, à s'échapper de l'Empire ottoman. Cependant, sur la base de ses propres rêves et de ceux que d'autres lui rapportent, Ter Gomidas pense que c'est la volonté de Dieu qu'il reste dans son ministère paroissial à Galata, même si cela entraîne son propre martyre[10].
Martyre
Le au soir selon le calendrier julien, ou le selon le calendrier grégorien, Ter Gomidas est arrêté par le nouveau patriarche Hovhannès VII, qui ordonne aussi l'arrestation de plusieurs évêques arméniens, de 40 prêtres, et de 180 laïcs[11],[12].
Avec huit autres prêtres arméniens également soupçonnés de conversion au catholicisme, Ter Gomidas est traduit en justice devant un tribunal de millet arménien pour trahison envers le sultan et trouble à la paix du peuple arménien en devenant « Francs ». Ter Gomidas, parlant au nom du groupe, affirme qu'ils sont effectivement devenus catholiques, mais pas francs. Le catholicisme est une religion, pas une nationalité. Sa logique ne réussit pas à convaincre le tribunal et lui et les huit autres sont traduits devant le tribunal d'un Cadi turc et y sont présentés comme des traîtres[13].
Le Cadi est d'abord réticent à poursuivre l'affaire, jusqu'à ce que le patriarche Hovhannès VII accuse aussi Ter Gomidas d'avoir secrètement instruit puis baptisé un grand nombre de musulmans, puis d'avoir fait en sorte que le comte de Ferriol les fasse sortir clandestinement de l'Empire ottoman pour que ses convertis puissent pratiquer ouvertement leur nouvelle foi. De ce fait, Ter Gomidas est condamné à mort pour trahison envers le sultan Ahmet III et pour violation des préceptes de la charia régissant l'aide à l'apostasie. Selon la coutume de l'époque dans l'Empire ottoman, le Cadi offre à Ter Gomidas et à ses huit coaccusés prêtres une grâce totale et leur liberté en échange de leur conversion immédiate à l'islam. Les huit autres prêtres acceptent immédiatement, mais Ter Gomidas, seul, refuse en disant : « Je n'échangerai pas mon or contre votre cuivre »[13].
Accompagné de sa femme, de ses enfants et d'une foule de trois mille témoins, Ter Gomidas est conduit le en dehors de la prison vers le quartier Samatya de Constantinople. Comme beaucoup d'autres prêtres martyrs sous les Césars, Ter Gomidas est suivi jusqu'au lieu d'exécution par sa femme et ses enfants. L'épouse de Ter Gomidas l'encourage à rester ferme, tandis que sa sœur Irena supplie Ter Gomidas de ne pas endeuiller sa famille. Irena exhorte son frère à faire semblant de se convertir à l’islam, tout en restant crypto-chrétien[14].
Impassible, Ter Gomidas continue jusqu'à atteindre le carrefour appelé Parmak Kapu, où on lui ordonne de s'agenouiller. Ter Gomidas le fait, mais en se tournant vers Jérusalem, au grand désarroi de la foule, qui l'appelle à plusieurs reprises en vain à changer de position et à se tourner vers La Mecque. Lorsque le bourreau s'approche avec son épée dégainée et exhorte également Ter Gomidas à sauver sa vie en se convertissant à l'islam, Ter Gomidas répond : « Non, faites votre travail » et commence à réciter le Symbole de Nicée dans la langue liturgiquearménienne classique. Sa prière ne cesse que lorsqu'il est décapité[15],[14].
Postérité
Enterrement ; réactions
Après sa mort, Ter Gomidas est enterré au cimetière arménien de Constantinople, où un mnemósynon lui est offert par des prêtres grecs orthodoxes du Patriarcat œcuménique, car aucun prêtre arménien catholique n'osait sortir de sa cachette pour le faire. Son corps est ensuite réexhumé et transporté pour être vénéré au noviciat jésuite de Lyon en France, où il est perdu à l'époque de la Terreur pendant la Révolution française[16].
En raison des opérations secrètes du comte de Ferriol, l'historien Donald Attwater indique que Ter Gomidas est une « double victime", à la fois de la vindicte de ses ennemis et du peu de scrupules de ses amis, car les intrigues de Ferriol ont fourni le prétexte aux premiers, mais il ajoute que sinon ils auraient sans doute trouvé d’autres prétextes[14].
L'exécution de Ter Gomidas provoque cependant une telle indignation même parmi les Arméniens monophysites que le comte de Ferriol peut faire en sorte, en corrompant des courtisans et des fonctionnaires du sultan, que le patriarche Hovhannes soit destitué et remplacé par le patriarche Sahag Ier, connu pour être plus modéré. La persécution des Arméniens catholiques cesse alors, mais temporairement seulement[13].
Un de ses fils, Jean de Carbognano (v.1706-1763), devenu orphelin, est recueilli et éduqué par des missionnaires de rite latin. Il entre au service du royaume de Naples comme drogman. Son propre fils, Cosimo de Carbognano (1749-1807), entre à son tour au service du royaume de Naples, puis plus tard du roi d'Espagne et devient chevalier de l'ordre de l'Eperon d'Or. Il publia en latin les principes de la grammaireturque à l'usage des missionnaires catholiques de l'Empire ottoman[19].
Béatification
Le jour anniversaire du martyre du bienheureux Gomidas est commémoré chaque année par une procession religieuse jusqu'au lieu de sa mort, jusqu'à ce que le génocide arménien détruise à partir de 1915 la communauté arménienne catholique historiquement importante à Istanbul. Le pape Pie XIbéatifie Gomidas Keumurdjian le ; la fête du bienheureux Gomidas Keumurdjian est célébrée chaque année le 5 novembre[20].
Le martyrologe romain célèbre Gomidas Keumurdjan dans les termes suivants : « À Constantinople, le bienheureux Gomidas Keumurdjan (Cosma da Carbognano), prêtre et martyr, qui, père de famille, né et ordonné dans l'Église arménienne, a beaucoup souffert pour avoir maintenu et propagé fermement la foi catholique professée par le Concile de Chalcédoine, et il est finalement mort décapité en récitant le symbole de Nicée »[21].
↑E. Dallegio d'Alessio, « Le chevalier Cosimo Comidas de Carbognano petit-fils du vénérable Der-Comidas Keumurdjian », Échos d'Orient, t. 28, no 153, , p. 42-47.
(en) Donald Attwater, The Golden Book of Eastern Saints, , p. 109-121.
(en) Charles E. Frazee, Catholics and Sultans: The Church and the Ottoman Empire, 1453-1923, Cambridge University Press, , p. 97-98, 178, 180, 181, 185-189.
(en) Paul Noone, The Man Behind the Iron Mask, New York, St. Martins Press, , p. 99-103.