Jean Tardieu, né le à Saint-Germain-de-Joux, dans l'Ain et mort le à Créteil, dans le Val-de-Marne, est un écrivain et poète français, inventeur extrêmement fécond, qui s'est essayé à produire dans tous les genres et tous les tons : humoriste aussi bien que métaphysicien, dramaturge et poète lyrique ou formaliste, il a déployé en plus de soixante ans une créativité exceptionnelle, faisant alterner une poétique classique avec le vers libre ou les tentatives audacieuses de l'écriture informelle. Avec une inquiétude métaphysique dissimulée sous l'humour, Jean Tardieu n'a cessé de se « demander sans fin comment on peut écrire quelque chose qui ait un sens ».
Biographie
Jean Tardieu naît dans une famille aisée et sa jeunesse se déroule entre musique et peinture. Il est le fils de Victor Tardieu, peintre de talent qui peignait des toiles de grand format, et fonda l'école des Beaux-arts du Tonkin, lui-même fils d'un dessinateur parisien sur soieries établi à Lyon ; sa mère, Caroline Luigini, née dans une famille de musiciens, était professeur de harpe[1]. La famille réside en hiver à Paris, rue Chaptal, et l'été, dans la propriété d'Orliénas. L'influence de la musique, que Jean Tardieu pratique avec aisance, va s'exercer sur son œuvre en lui révélant un au-delà du sensible que seuls les artistes ont le pouvoir de dévoiler[1]. Plusieurs de ses œuvres poétiques ont d'ailleurs été mises en musique par les compositeurs Henri Cliquet-Pleyel, Marius Constant, Henri Sauguet, et Pierre-Max Dubois, entre autres[2].
Enfant insouciant et heureux, il fait ses études au lycée Condorcet[3], où il est le condisciple d'Albert-Marie Schmidt et où il rencontre aussi Lanza del Vasto. En 1920-1921, il est en classe de philosophie, discipline qui fait brusquement accéder l'adolescent aux « grandes questions ». À quelques mois du baccalauréat, il connaît, devant l'image que lui renvoie le miroir, l'expérience tragique de la distance entre le moi et cette image du soi :
« Je ne serai jamais que l'ombre folle d'un inconnu qui garde ses secrets […] Et quand je me regarde dans la glace, je vois un étranger. Un étranger narquois et méchant qui va fondre sur moi. »
— J. Tardieu, Étranger, Le Fleuve caché (1933)
Cette crise qu'il qualifiera de « névrotique » (en fait, un bref épisode d'asomatognosie,[réf. nécessaire] expliquant peut-être cette « ligne de fracture » parcourant une longue partie de son œuvre) entraîne une grave dépression qui l'oblige à interrompre ses études, et lui fait connaître à partir de là une angoisse métaphysique et existentielle : la conscience du poète s'est ainsi éveillée à l'énigme d'exister, au mystère de l'Être[4]. Dès lors, il ne cessera d'interroger cette part d'ombre, à la fois inquiétante et fertile : « Cette nuit si terrible apparaît bénéfique si nous l'embrassons, les yeux ouverts, dans la vérité du regard », écrit-il dans Obscurité du Jour en 1954.
Durant les vacances scolaires, Jean Tardieu séjourne près de Bellegarde-sur-Valserine où habite un oncle ; il garde dans sa poésie l'image symbolique des pertes des deux fleuves, le Rhône et la Valserine, qui coulent dans cette région[5] :
« Toute ma vie est marquée par l'image de ces fleuves, cachés ou perdus au pied des montagnes. Comme eux, l'aspect des choses, pour moi, plonge et se joue entre la présence et l'absence. Tout ce que je touche a sa moitié de pierre et sa moitié d'écume. »
Il habitait Gerberoy dans les années 1980 à 1995. Il est mort à l'âge de 91 ans. Son épouse est décédée en 1998.
L'œuvre
Difficilement classable, poète avant tout et surtout, Jean Tardieu a remis en jeu les conventions des genres et tente des expériences à propos du langage poétique et de sa relation avec le langage de tous les jours. Amis de plusieurs membres de l'Oulipo, de Raymond Queneau à Jacques Bens, il en est l'invité d'honneur en 1967.
Il écrit aussi pour le théâtre de courtes pièces dans lesquelles ses recherches sont proches de celles de l'art abstrait et de la musique : comme l'indique l'auteur lui-même, ce sont des Poèmes à jouer, le jeu portant sur des thèmes formels plus que sur le contenu de la pièce[6]. Il travaille à la radio pendant une vingtaine d'années, publiant en 1969 Grandeur et faiblesse de la Radio en collaboration avec Cherif Khaznadar (Club d'essai[7]).
Jean Tardieu sait aussi utiliser la poésie comme un art engagé comme le montrent les poèmes publiés entre 1941 et 1944 dans les numéros clandestins des Lettres françaises, entre autres Oradour[8]. En 1946, il fait paraître un recueil de poèmes du temps de la Résistance sous le titre Les Dieux étouffés[9].
Son livre On vient chercher Monsieur Jean, publié en 1990, retrace de façon vagabonde des souvenirs en relation avec sa vocation d'écrivain, dont les signes avant-coureurs se perçoivent dès l'enfance. Il est une bonne introduction à l'univers de l'auteur, à la fois par l'évocation de son environnement spatial (Paris, essentiellement) et temporel, par celui de ses rencontres significatives, et par ses réflexions très fines sur sa démarche personnelle de création.
Œuvres
Œuvres, édité chez Gallimard dans la collection Quarto, retrace le parcours littéraire, biographique et bibliographique de Jean Tardieu.
Le ciel a eu le temps de changer, correspondance 1922-1944 de Jean Tardieu avec l'universitaire et étruscologue Jacques Heurgon, 272 pages, 2004 (ISBN2908295741)[3].
Poésie aux éditions Gallimard
1939 : Accents
1943 : Le Témoin invisible
1947 : Jours pétrifiés
1985 : Le coeur en boucle
1954 : Une voix sans personne
1961 : Choix de poèmes 1924-1954
1961 : Histoires obscures
1968 : Le Fleuve caché
1972 : La Part de l'ombre (choix de proses)
1976 : Formeries
1979 : Comme ceci, comme cela
1986 : Margeries, poèmes inédits 1910-1985.
1986 : L'Accent grave et l'accent aigu (reprend Formeries, Comme ceci comme cela, Les Tours de Trébizonde)
1986 : Poèmes à voir
Prose aux éditions Gallimard
Figures, poèmes en prose
La Première Personne du singulier, 1952
Pages d'écriture
Les Portes de toile
Le Professeur Froeppel
Les Tours de Trébizonde
On vient chercher Monsieur Jean, 1990
Le Miroir ébloui
Lettres de Hanoï
L'Amateur de théâtre.
Lettre de Hanoï publication posthume 1997
Théâtre aux éditions Gallimard
Un mot pour un autre
Théâtre de chambre
Poèmes à jouer
Une soirée en Provence ou Le mot et le cri
La Cité sans sommeil
La Comédie du langage, suivi de La Triple Mort du client 1987
La Comédie de la comédie (ou "Oswald et Zénaïde", ou "Les Apartés") 1966
La Comédie du drame
La Sonate et les trois messieurs ou Comment parler musique
Finissez vos phrases
Il y avait foule au manoir
Éditions illustrées chez Gallimard
Jours pétrifiés, poèmes avec six pointes sèches de Roger Vieillard.
L'Espace et la flûte, poèmes, variations sur douze dessins de Pablo Picasso.
Conversation-sinfonietta, essai d'orchestration typographique par Robert Massin.
Livres illustrés pour enfants aux éditions Gallimard
Il était une fois, deux fois, trois fois... ou la table de multiplication mise en vers, illustrations d'Élie Lascaux.