Du point de vue de la phonétique historique, la prothèse est un changement qui peut se produire au cours de l’évolution de mots d’une langue mère à une langue fille. Par exemple, les groupes de consonnes [sp], [st] et [sk] initiales de mots latins ont reçu dans certaines langues romanes (espagnol, français, portugais,
catalan, occitan), un [e] prothétique. En français, le [s] est tombé dans certains cas : (la) spiritus > (es) espíritu, (fr) esprit ; stella > estrella, étoile ; schola > escuela, école[2], spatula(m) > (fr) épaule, scutu(m) > écu[9].
Si dans les langues romanes il y a eu généralement prothèse d’une voyelle devant une consonne, dans certaines langues slaves il s’est produit des prothèses de consonnes devant une voyelle. Selon certains linguistes, en proto-slave, le mot « pomme » avait pour correspondant ablъko. En russe, en polonais et dans le BCMS (bosnien, croate, monténégrin et serbe), ce mot a subi la prothèse du [j][10] : (ru) яблоко iabloko, (pl) jabłko, BCMS jabuka, vs (bg) абълка abalka, langue dans laquelle il n’y a pas eu cette prothèse[4],[7],[11].
La prothèse d’une autre consonne, [v], s’est produite en russe, par exemple dans le mot восемь vosem’ « huit », vs (bg) 'осъм' osam. Cette prothèse est plus fréquente en biélorusse : вока voka (vs (ru) oко) « œil », вуха [vuxa] (vs (ru) ухо « oreille »)[12].
En aroumain est fréquente, quoique non pas générale ni caractéristique pour toutes les variétés régionales, la prothèse de [a], surtout devant [r] : arău (vs roumainrău) « mauvais », aratsi (vs (ro) rece) « froid », arădătsină (vs (ro) rădăcină) « racine », etc.[13]. C’est d’ailleurs l’explication du a au début du nom de cette langue.
Il y a prothèse également dans certaines langues lors du processus d’intégration d’emprunts lexicaux. En basque, par exemple, il existe une prothèse comme en aroumain, celle de [a] devant le [r] initial d’emprunts d’origine latine et romane[14].
Le hongrois a gardé, à une certaine étape de son évolution, l’intolérance de la langue originaire finno-ougrienne aux groupes de consonnes initiales de mot : c’est pourquoi, dans les emprunts relativement anciens, il s’est produit la prothèse d’une voyelle devant ceux-ci : vieux slavedvor > udvar « cour », (la) schola> iskola « école »[15].
Dans le registre familier du hongrois il y a des prénomsdiminutivés avec et sans prothèse, ex. István « Étienne » > Isti > Pisti, Anna > Anni > Panna / Panni, András « André » > Andi – Bandi[8].
D’autres variantes sont distribuées entre la variété standard et des variétés non standard, par exemple régionales, de registre populaire, de registre familier ou individuelles. Telles sont en roumain alămâie vs lămâie « citron », amiroase vs miroase « cela sent » (odeur)[6], zbici vs bici « fouet », scoborî vs coborî « descendre »[5].
Dans des dialectes méridionaux du russe on rencontre la prothèse de [i], ex. ишла ichla vs шла chla « elle allait »[4].
À part le [j] prothétique ancien et standard dans la langue actuelle, dans des dialectes croates il y a des mots avec cette prothèse en opposition avec leurs correspondants sans prothèse dans le standard, ex. jopet vs opet « de nouveau »[16],[17].
La prothèse peut aussi être individuelle dans la parole courante, le mot n’étant pas isolé, mais intégré dans la chaîne parlée. Un exemple en est, en anglais, left turn « virage à gauche », prononcé [əleft təːn], avec prothèse de [ə] au mot left[3].
En tant que figure de style, la prothèse apparaît dans des mots non standard, chez des écrivains qui cherchent à rendre une atmosphère populaire urbaine ou rurale, par exemple. De même, dans les journaux on peut remarquer des prothèses qu’on peut appeler contextuelles, dans des titres d’articles, lorsqu’on remplace dans un syntagme figé un mot par un autre, ayant un sens différent, dont il diffère seulement par le son initial, ex. (hr) Zodijački mrak, littéralement « obscurité zodiacale », avec mrak « obscurité » au lieu de rak « cancer »[17].
↑Le son [j] est considéré dans la linguistique de ces langues comme une consonne et non pas comme une semi-voyelle, comme c’est le cas dans la linguistique du français.
(ro) Capidan, Theodor, Aromânii. Dialectul aromân. Studiu lingvistic [« Les Aroumains. Le dialecte aroumain. Étude linguistique »], Bucarest, Monitorul Oficial și Imprimeriile Statului, Imprimeria Națională, 1932 (consulté le )
(ro) Constantinescu-Dobridor, Gheorghe, Dicționar de termeni lingvistici [« Dictionnaire de termes linguistiques »], Bucarest, Teora, 1998 ; en ligne : Dexonline (consulté le )
(ru) Iartseva, V. N. (dir.), Лингвистический энциклопедический словарь [« Dictionnaire encyclopédique de linguistique »], Moscou, Sovietskaia Entsiklopedia, 1990 (consulté le )
(hr) Ladan, Tomislav (dir.), Hrvatski obiteljski leksikon [« Lexicon familial croate »], Zagreb, Leksikografski zavod Miroslav Krleža et EPH, 2005, (ISBN953-6748-16-9) ; en ligne : enciklopedija.lzmk.hr (consulté le )
(de) Meyer-Lübke, Wilhelm, « Das Baskische » [« Le basque »], Germanisch-romanische Monatschrift, 4e année, no 11, 1924