Originaire de Corrèze — il y retourne régulièrement —, de père protestant et de mère catholique[3], Richard Millet passe une partie de son enfance au Liban (de six à quatorze ans). Il participe à la guerre du Liban en 1975-1976 en tant que volontaire auprès de la communauté chrétienne[4]. Il enseigne les lettres pendant vingt ans avant d'y renoncer pour se consacrer entièrement à l'écriture. Romancier et essayiste, il peint sa Corrèze natale dans de nombreux romans ou récits et s'attache, dans ses essais, à défendre une certaine idée de la littérature.
Millet fonde avec le poète Jean-Michel Maulpoix la revue Recueil en 1984[5], dans laquelle il signe de nombreux textes, ainsi que quelques chroniques sous le pseudonyme de Marc Fournier[6]. Il est rédacteur en chef de La Revue littéraire de 2015 à .
En , Le Point révèle que Gallimard le licencie après la publication d'un article critique dans lequel il vilipende notamment le style de Maylis de Kerangal[9].
L'œuvre
L'œuvre de Richard Millet se construit autour des thèmes du temps, de la mort, de la langue. Son style se veut l'héritier de la grande prose française, qui va « de Bossuet à Claude Simon »[10].
Plusieurs de ses romans ont pour cadre le village de « Siom », pendant littéraire de Viam, notamment dans La Gloire des Pythre, L'Amour des trois sœurs Piale, Lauve le pur, Ma vie parmi les ombres, Tarnac, Le Goût des femmes laides. Plus largement, le plateau de Millevaches, son paysage, son climat, sa situation géographique, l'évolution de la vie de ses habitants au cours du XXe siècle, sont des éléments essentiels au contexte de ses histoires.
Il entremêle références religieuses et mots crus, ce qui l'inscrit à la fois dans la tradition catholique et dans une certaine modernité littéraire. Le désir, le mal et la souffrance sont autant de thèmes qui traversent toute son œuvre.
L'essayiste polémiste
Richard Millet en novembre 2010.
En 2005, dans Le Dernier Écrivain et Harcèlement littéraire, Millet critique les écrivains français contemporains qui méconnaissent les règles de la langue française[11]. Il dénonce aussi la domination du roman policier, de l'heroic fantasy ou de la science-fiction, « sous-genres » qui auraient entraîné, selon lui, une certaine inversion des valeurs. Il s'oppose en cela à Borges pour qui le roman policier serait le digne héritier de la tragédie grecque, mais rejoint José Ortega y Gasset, lequel prétendait que le roman psychologique dépassait en intensité les autres genres. Reprenant à son compte cette position, Millet oppose aux autres genres littéraires une langue foisonnante, riche et profonde, à la différence, par exemple, d'un Bernanos qui se moquait bien des genres.
En 2007, dans Désenchantement de la littérature, il fustige une nouvelle fois les manquements des auteurs français contemporains, mais aussi la perte du sentiment religieux en Europe. Il soutient que la France, sans son identité chrétienne, ne serait plus elle-même. Ses positions aussi bien littéraires que religieuses ont suscité de nombreuses critiques dans le monde littéraire[12]. Il répond à ses détracteurs dans un livre de fragments paru en , L'Opprobre, qui est lui aussi très critiqué[13]. Contrastant avec ces réactions critiques, l'écrivain Philippe Sollers se montre en accord, au moins partiel, avec le constat du Désenchantement[14].
En 2010, Richard Millet publie L'Enfer du roman, un ensemble de réflexions sur ce qu'il appelle la « postlittérature ». Il y critique sévèrement l'hégémonie du « roman international, insipide, sans style », et lui oppose la solitude de l'écrivain et la recherche du style, possible seulement en plongeant dans les profondeurs de la langue. L'année suivante, il développe ses positions littéraires et sociales dans Fatigue du sens et Arguments d'un désespoir contemporain.
Le , sur France Culture, il fait scandale en déclarant que « quelqu’un qui à la troisième génération continue à s’appeler Mohammed quelque chose, pour moi, ne peut pas être français[15]. »
En 2012, il publie chez Pierre-Guillaume de Roux un essai intitulé Langue fantôme, suivi de Éloge littéraire d'Anders Breivik, dans lequel il s'en prend au multiculturalisme et à la perte de repères identitaires à l'origine, selon lui, du geste du tueur norvégien. Frappé par la « perfection formelle » des actes de Breivik, Richard Millet leur prête une « dimension littéraire » qui aurait été mal comprise et mal interprétée par la presse : d'après lui, seule une littérature qui ose s'intéresser à la question du mal est valable à une époque où le divertissement domine, et donc l'insignifiance[16]. Tout en condamnant les actes d'Anders Breivik[17], Millet affirme que c'est « sans doute ce que méritait la Norvège et ce qui attend nos sociétés qui ne cessent de s'aveugler » sur « les ravages du multiculturalisme », « l'islamisation de l'Europe » et son renoncement à « l'affirmation de ses racines chrétiennes. » Il considère Anders Breivik comme « tout à la fois bourreau et victime »[18]. Il assimile ce massacre à un nouveau symptôme de l'échec de la littérature, supplantée par le fusil d'assaut[19].
Une polémique s'ensuit. Annie Ernaux publie dans Le Monde une tribune intitulée « Le pamphlet fasciste de Richard Millet déshonore la littérature[20] », cosignée par une centaine d'écrivains. J. M. G. Le Clézio qualifie le texte de Millet d'« élucubration lugubre » et de « répugnant »[21]. Le Point juge que Richard Millet « avait du style mais le gâche dans des propos suicidaires »[18]. Il est traité par Les Inrocks de xénophobe[22], et plus généralement, d'après Le Figaro, les médias l'accusent de racisme et d'apologie du crime[23]. D'aucuns jugent cette publication incompatible avec les fonctions de Millet chez Gallimard[24],[25]. Le , il annonce sa « démission contrainte »[26] du comité de lecture des éditions Gallimard[27]. C'est un acte symbolique fort, car Richard Millet est désormais exclu du cercle restreint de ceux qui peuvent décider si une œuvre peut être éditée ou non[28].
L'année suivante, Muriel de Rengervé publie aux éditions Jacob-Duvernet le récit de cette « mise à mort » de l'écrivain, L'Affaire Richard Millet, où elle défend la liberté souveraine de la littérature[29].
Revenant sur cette affaire quelques années plus tard, Benoît Duteurtre note qu'Annie Ernaux en demandant que Richard Millet ne soit plus édité ni ne puisse éditer les autres et en rassemblant « un bataillon d’auteurs en vue d’obtenir son châtiment » parvint à « accomplir ce qu’on avait rarement vu, même en Union soviétique : une pétition d’écrivains dirigée contre un écrivain ; confrérie rassemblée non par solidarité, mais par la volonté d’éliminer une brebis galeuse[30] ».
L'expérience de la guerre
Dans La Confession négative, Richard Millet, dans la ligne d'écrivains comme André Malraux[31], explique, à travers son double de fiction, comment « il va s'engager aux côtés des chrétiens, moins par conviction que par principe, “ignorant des enjeux réels de cette guerre” [la guerre du Liban] mais persuadé qu'elle seule peut donner à l'écrivain qu'il veut être, sa vérité, encouragé en ce sens par Hemingway, Jünger, Faulkner, Malaparte ou T. E. Lawrence[32] ».
Extrait :
« J'ai dû tuer des hommes, autrefois, et des femmes, des vieillards, peut-être des enfants. Et puis j'ai vieilli. Nous avons vieilli plus vite que les autres. Nous avons dit ce qu'on dit que nul ne peut regarder fixement : le soleil, la souffrance, la mort. De tout ça, je peux parler à peu près librement : ceux qui m'avaient fait jurer de me taire et me menaçaient de mort, si je racontais certaines choses, ceux-là ne sont plus de ce monde, maintenant, et il y a longtemps que j'ai regagné l'Europe où les hommes ne croient plus à rien et où les ormes sont morts de maladie[33]. »
Il poursuit l'étude de cette expérience dans son livre Tuer paru en 2015[34].
La passion pour la musique
Dans son livre Musique secrète, paru en 2004, l'écrivain évoque son goût pour la musique classique. Son père est un musicien amateur, il joue du violon et du piano. Dès l'enfance, Richard Millet est immergé dans une ambiance musicale, de sorte que la musique a toujours été présente dans sa vie. Il joue lui-même du piano et consacre une heure tous les jours à cet instrument. Son père l'inscrit au conservatoire de musique, il fait un séjour linguistique en Angleterre chez le compositeur Peter Burden et rêve de devenir lui-même musicien. Il écrit même un morceau de piano, une pièce atonale inspirée par la musique de Schönberg, de Berg et de Webern. Mais il est obligé d'abandonner ses études par répugnance à jouer en public.
Sa vocation est l'écriture. Désormais, il écrit ses livres en musicien. Ne pas aimer la musique est pour lui une faute inexcusable.
Il a par ailleurs rendu hommage à la musique contemporaine (Pour la musique contemporaine, 2004) et écrit le livret de l'opéra de Marc-André Dalbavie, Gesualdo, créé à Zurich en 2010[35].
Sa passion apparaît très clairement dans certains de ses livres comme La Voix d'alto, Sibelius : Les Cygnes et le Silence ou La Nouvelle Dolores[36].
Œuvres
Romans, récits, nouvelles
1983 : L’Invention du corps de saint Marc, POL, 112 p.
1984 : L’Innocence, POL, 139 p.
1985 : Sept passions singulières : nouvelles, POL, 176 p.
1988 : L’Angélus : récit, POL puis coll. « Folio » (2001), 89 p.
1989 : La Chambre d’ivoire, POL puis coll. « Folio » (2001), 107 p.
1991 : Laura Mendoza, POL, 87 p.
1992 : L’Écrivain Sirieix, POL puis coll. « Folio » (2001), 94 p.
1993 : Le Chant des adolescentes : récits, POL, 160 p.
1994 :
Un balcon à Beyrouth : récit, La Table Ronde (puis 2005), 248 p.
Cœur blanc : nouvelles, POL, 174 p.
1995 : La Gloire des Pythre [37], POL puis coll. « Folio » (1997), 379 p.
1997 : L’Amour des trois sœurs Piale [38], POL puis coll. « Folio » (1999), 353 p.
1998 : Le Cavalier siomois, éditions François Janaud puis La Table Ronde (2004), 89 p.
2000 : Lauve le pur, POL puis coll. « Folio » (2001), 378 p.
2001 : La Voix d’alto, Gallimard puis coll. « Folio » (2003), 408 p.
2003 :
Le Renard dans le nom, Gallimard puis coll. « Folio » (2004), 123 p.
Ma vie parmi les ombres, Gallimard puis coll. « Folio » (2005), 700 p. — Prix Nice-Baie-des-Anges 2004
2005 : Le Goût des femmes laides, Gallimard puis coll. « Folio » (2007), 233 p.
2006 :
Dévorations, Gallimard, 275 p.
L’Art du bref : récit, Gallimard, 104 p.
2007 :
Petit éloge d'un solitaire, Gallimard, coll. « Folio », 89 p.
Corps-en-dessous, éditions Fata Morgana, 47 p.
2009 : La Confession négative, Gallimard, 506 p.
2010 :
Brumes de Cimmérie : récit, Gallimard, 134 p.
Le Sommeil sur les cendres, Gallimard, 156 p.
Tarnac : récit, Gallimard, coll. « L'Arpenteur », 82 p.
2011 : La Fiancée libanaise, Gallimard, 353 p.
2012 :
La Voix et l’Ombre, Gallimard, 205 p.
Intérieur avec deux femmes : récit, Pierre-Guillaume de Roux, 140 p.
2013 :
Une artiste du sexe, Gallimard, 230 p.
Trois légendes, Pierre-Guillaume de Roux, 86 p.
2014 : Sous la nuée, éditions Fata Morgana, 51 p.
2015 : Tuer, Léo Scheer, 117 p.
2016 :
Province, Léo Scheer, 324 p.
Jours de lenteur, éditions Fata Morgana, 86 p.
2017 : La nouvelle Dolores, Léo Scheer, 210 p.
2018 : Rouge-gorge, éditions Fata Morgana, 56 p.
2019 : Étude pour un homme seul : récit, Pierre-Guillaume de Roux, 111 p.
2020 : Humaine comédie, éditions Fata Morgana, 288 p.
2021 : La Princesse odrysienne, Aqua Aura, 248 p.
2024 : Ozanges, EST - Samuel Tastet éditeur, 128 p. (ISBN978-2868180971)
2024 : L'entrée du Christ dans la langue française, EST - Samuel Tastet éditeur, 128 p. (ISBN978-2868180988)
Ma sœur vierge Emily Brontë, La guêpine éditions, 56 p.
2020 :
Journal : Tome 3, 2000-2003, Pierre-Guillaume de Roux, 320 p.
Français langue morte suivi de « L'Anti-Millet », Les Provinciales, 170 p.
2021 : Paris bas-ventre. Le RER comme principe évacuateur du peuple français, suivi de Éloge du coronavirus, Paris, La Nouvelle Librairie, coll. « Dans l'arène », 109 p.
2022 :
Chronique de la guerre civile en France, 2011-2022, Paris, La Nouvelle Librairie éditions, coll. « Dans l'arène », 614 p.
La Forteresse : autobiographie 1953-1973, Les Provinciales, 304 p.
2023 :
Journal 2003-2011, Les Provinciales, 600 p.
2024 :
Nouveaux Lieux communs : exégèse, exorcisme, Paris, La Nouvelle Librairie éditions, coll. « Dans l'arène », 240 p.
« Il y a dans la langue française un courant profond et puissant – une houle, ai-je envie de dire – qui conjugue les ressources de la prose et de la poésie et qui serait l'un des vecteurs de la modernité. Un courant qui va de Bossuet à Claude Simon, en passant par le cardinal de Retz, Saint-Simon, Chateaubriand, Michelet, Proust, Genet, Gracq, Debord, c'est-à-dire des mémorialistes, des historiens, des romanciers, des penseurs ; une houle qu'on entend aussi dans les grands romans de Hugo, dans la prose piégée de Lautréamont, dans le théâtre de Claudel, dans les versets de Saint-John Perse, et qui a quelque chose à voir avec la dimension oratoire, ou plus simplement orale, de notre langue. »
— Le Sentiment de la langue, coll. « Petite Vermillon », pp. 267-268
« Au moment d'entreprendre ce qui pourrait être un Éloge littéraire d'Anders Behring Breivik, je voudrais qu'on garde à l'esprit que je n'approuve pas les actes commis par Breivik, le 22 juillet 2011, en Norvège. » « Je ne cherche pas à faire de la socio-psychologie politique, je ne suis pas un "expert", et nullement proche de Breivik dont, je le répète, je condamne les actes. » « Donnerons-nous pour autant raison à Breivik, sous le prétexte que ses victimes n'étaient que de jeunes travaillistes, donc de futurs collaborateurs du nihilisme multiculturel ? Non : dans la perfection de l'écriture au fusil d'assaut, il y a quelque chose qui le mène au-delà du justifiable… »
— Langue fantôme suivi de Éloge littéraire d'Anders Breivik, p. 103, 109, 117
Sylviane Coyault-Dublanchet, La Province en héritage : Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Richard Millet, Genève, Droz, 289 p.
Vincent Pélissier, Autour du Grand Plateau (Pierre Bergounioux, Alain Lercher, Jean-Paul Michel, Pierre Michon, Richard Millet), Tulle, éditions des Mille Sources
2007 :
Jean-Yves Laurichesse, Richard Millet : L'invention du pays, Amsterdam - New York, Rodopi, 276 p.
Nayla Tamraz, « La géographie subjective dans quelques romans de Richard Millet » dans Travaux et jours, université Saint-Joseph, numéro 81, 2008-2009, p. 65–73
Collectif, Richard Millet : La Langue du roman, sous la direction de Christian Morzewski, Centre de recherche Textes et Cultures, Artois presses université, 180 p.
Collectif, « Richard Millet », sous la direction de Jean-Yves Laurichesse, Littératures, n° 63/2010, Presses universitaires du Mirail, 262 p.
2012 :
Collectif, « Richard Millet : La Gloire des Pythre, Lauve le pur, Ma vie parmi les ombres », dans Christian Morzewski (dir.) Roman 20-50, Septentrion presses universitaires, 157 p.
Ján Drengubiak, Richard Millet : Du personnel vers l’universel, Prešov, Acta Facultatis Philosophicae Universitatis Prešoviensis, 2012, 189 p. (lire en ligne sur unipo.sk)
2013 :
Muriel de Rengervé, L'Affaire Richard Millet, éditions Jacob-Duvernet, 2013, rééd., éd. Léo Scheer, 2016.
2015 :
Ivan Jaffrin, « L’affaire Richard Millet ou la critique radicale de la société multiculturelle. Analyse et mise en perspective d’un scandale littéraire, 12 ans après l’affaire Renaud Camus », COnTEXTES, lire en ligne,
Collectif, Lire Richard Millet, sous la direction de Mathias Rambaud, Pierre-Guillaume de Roux, 2015, 313 p.
2016 :
Collectif, Richard Millet, (Gilbert Pons, Jean-Yves Casanova, Jean-Yves Laurichesse, et al.), Léo Scheer, coll. « Écrivains d'aujourd'hui », 2016, 311 p.
2019 :
Vincent Berthelier, « Stylistique du passéisme », Cahiers ERTA, n°17, lire en ligne, 2019, p. 85-99
2022 :
Vincent Berthelier, Le style réactionnaire. De Maurras à Houellebecq, Éditions Amsterdam, 2022 (ch. 11, Tradition et francité : fictions du style chez Richard Millet, pp. 323-346).