Kenneth Charles Loach est né en 1936. Son père, John, est électricien en usine, ouvrier devenu agent de maîtrise, et sa mère, Vivien (née Hamlin), est issue de la classe moyenne inférieure ; tous deux sont plutôt conservateurs[4]. Ken Loach suit des études de droit au St Peter's College à Oxford. Il y joue notamment dans la troupe comique maintenant bien établie, la Oxford Revue.
Carrière
Il commence à l'extérieur en tant qu'acteur dans le théâtre de répertoire mais, au début des années 1960, il entre dans le monde de la télévision où il devient réalisateur de trois épisodes de la série Z Cars en 1964. Mais Loach marque son entrée dans le milieu par des docu-dramas, notamment Cathy Come Home (1966) qui a une forte connotation sociale. Ce téléfilm débute comme d'autres finissent : le bonheur conjugal, la naissance d'enfants... jusqu'à ce que le chômage vienne changer la donne et désagréger la cellule familiale. Vers la fin des années 1960, il commence à diriger des films, et réalise Kes, l'histoire d'un garçon solitaire et de sa crécerelle (une sorte de faucon), inspirée du roman de Barry HinesUne crécerelle pour un valet. Ce film laissera une forte empreinte au Royaume-Uni.
Les années 1970 et 1980 sont marquées par des films qui abordent, avec une approche expérimentale, les thèmes saillants de cette époque. Family Life prend des libertés avec la chronologie et peint la plongée d'une jeune fille dans une schizophrénie, en partie nourrie par un terrible carcan socio-familial. The "Save the Children" Fund Film est une commande de la fondation Save the Children, qui le déteste à tel point qu'elle essaie de faire détruire le négatif. Loach est également sollicité par la chaîne ITV (émission South Bank Show) pour faire A Question of Leadership, un documentaire sur le mouvement syndical qui a émergé lors de la grève des mineurs de plus de 13 semaines. Cependant, le programme n'est pas diffusé par ITV — le réalisateur déclare que ce sont des raisons politiques qui ont guidé cette décision — mais il est finalement diffusé sur Channel 4[5]. Fatherland situe son intrigue dans le Berlin encore divisé par le Mur et permet au metteur en scène de s'internationaliser.
Les années 1990 marquent le triomphe de Loach avec la réalisation d'une série de films populaires à thème social ou historique, acclamés par la critique : Riff-Raff qui traite de la réinsertion et de la sortie de prison, Carla's Song qui narre une histoire d'amour atypique et prend pour toile de fond la réalité politique du Nicaragua, Ladybird qui évoque le sort d'une mère à qui l'on retire la garde des enfants, Land and Freedom qui explore les traumatismes de la Guerre d'Espagne ou encore My Name Is Joe qui prend pour canevas le rapprochement d'un ancien alcoolique et d'une assistante sociale. Pendant cette période, il est trois fois couronné au Festival de Cannes. Il gagne notamment le Prix du jury en 1990 pour Secret défense (Hidden Agenda) et en 1993 pour Raining Stones.
Durant les années 2000, le cinéaste continue d'explorer ses thèmes de prédilection, faisant part de son engagement politique dans diverses problématiques sociales : Bread and Roses dépeint les conditions de travail inacceptables des immigrés aux États-Unis, The Navigators fonde la chronique de la lutte syndicale des cheminots contre la privatisation de British Rail sous le gouvernement de John Major, Just a Kiss relate les difficultés d'un couple appartenant à deux communautés différentes et It's a Free World! dénonce l'exploitation des travailleurs sans papiers après l'ouverture des frontières européennes.
Le , Ken Loach obtient la Palme d'or du 59e Festival de Cannes pour son film Le Vent se lève (The Wind That Shakes the Barley), une vision controversée de la guerre irlandaise d'indépendance et de la guerre civile irlandaise qui suit au cours des années 1920. Le film est fortement critiqué par une partie des médias britanniques pour sa représentation des forces britanniques d'occupation en Irlande. Certaines de ces critiques ont été formulées par des commentateurs qui n'avaient pas vu le film[6].
En 2009, Ken Loach réalise Looking For Eric, avec Steve Evets et Eric Cantona. L'histoire est celle d'un postier dépressif qui va se reprendre en main grâce à son idole, le footballeur Cantona, en tournant en dérision les punchlines et autres déclarations fortes de ce dernier.
En 2010, il décide de rendre ses films librement accessibles sur la plate-forme de partage YouTube, mais ils ne sont pas visibles en France pour des raisons de droits d'auteur[7]. La même année, il signe Route Irish qui évoque les ravages de la guerre d'Irak au Royaume-Uni.
En 2014, Loach revient au film historique avec Jimmy's Hall, inspiré de James Gralton qui s'oppose au clergé puissant et conservateur dans l'Irlande des années 1930. Le film est sélectionné en compétition pour le 67e Festival de Cannes. C'est le 12e film de Loach à avoir le privilège d'être en compétition. Il pense alors que ce sera son ultime long métrage de fiction, avec une « retraite » uniquement composée de tournages de documentaires. Mais finalement, en 2016, la compétition du Festival de Cannes compte, pour la 13e fois, un Ken Loach. Il s'agit d'une fiction intitulée Moi, Daniel Blake qui évoque le parcours d'un menuisier au chômage en proie aux affres kafkaïennes de l'administration ainsi qu'à la cruauté du système d'attribution des aides sociales au Royaume-Uni. Favorablement accueillie lors de la 69e édition cannoise, l'œuvre vaut au cinéaste sa seconde Palme d'or.
Le , un documentaire revenant sur la vie et la carrière de Ken Loach, intitulé Versus : The Life and Films of Ken Loach sort au Royaume-Uni[10]. On y apprend alors qu'il a, dans les années 1990, réalisé une publicité pour McDonald's. Il déclare à ce propos : « ça pèse toujours très lourd sur ma conscience »[11].
Le , La Méthode Ken Loach, un documentaire interactif qui montre comment le cinéaste met en scène sa vision, est diffusé sur Arte[12] et accessible en accès libre depuis 2020 sur un site dédié.
En 2019, il réalise à nouveau une œuvre de fiction intitulée Sorry We Missed You. Le film est présenté en compétition au Festival de Cannes mais ne remporte aucun prix.
En 2023, il présente toujours à Cannes The Old Oak et déclare qu'il est assez probable que ce sera son dernier film[13].
En 2013, à la mort de l'ex-première ministre conservateur Margaret Thatcher, il demande la privatisation de ses obsèques, une référence à sa politique libérale antisociale.
En 2016, il parraine le Festival Ciné-Palestine[18] à Paris, festival promouvant la richesse de l’œuvre cinématographique palestinienne.
En , il déclare dans une interview pour le journal L'Humanité qu'il s'oppose au départ du Royaume-Uni de l'Union européenne dans le cadre du référendum sur le Brexit. Il souhaite cependant « une autre Europe »[19].
En , il reçoit le titre de docteur honoris causa de l'Université Libre de Bruxelles. Cette distinction est contestée par des universitaires et par plusieurs organisations juives notamment le Comité de coordination des organisations juives de Belgique et le Board Of Deputies of British Jews[20],[21],[22]. Ils reprochent à Loach, via des communiqués publiés sur le site du Centre communautaire laic juif et une tribune publié dans le quotidien belge L'Écho son association avec Perdition, une pièce de théâtre qu'il met en scène en janvier 1987, pièce qui serait, selon son auteur Jim Allen, « l’attaque la plus létale jamais écrite contre le sionisme, car elle touche au cœur du mythe le plus durable de l’histoire moderne : l’Holocauste, le fait que des leaders juifs privilégiés ont collaboré à l’extermination de leur propre peuple en vue d’aider à la création d’un État sioniste, Israël, un État qui est lui-même raciste »[21], et serait, selon l'historien Martin Gilbert, « une déformation grossière des faits »[23] et « profondément antisémite »[24]. Ils reprochent aussi à Loach des propos qu'il tient lors d'une interview à la BBC en septembre 2017 dans l’émission Daily Politics, présentée par la journaliste Jo Coburn, où le réalisateur affirme n'avoir jamais vu d'antisémitisme dans le Parti travailliste britannique, et, interrogé à propos d'une réunion qui se serait tenue dans les marges de la conférence du parti où une discussion aurait eu lieu sur la véracité de l'Holocauste et s’il estimait que c'était une discussion acceptable, répond que « l'histoire est un sujet dont on peut tous débattre. La création de l'État d’Israël, par exemple, une création qui repose sur le nettoyage ethnique est un sujet qui mérite débat donc n'essayez pas de saboter ce débat avec des fausses histoires d'antisémitisme »[25]. Le Premier ministre belge Charles Michel avait exprimé son désaccord sur l'attribution d'un tel honneur, affirmant que Ken Loach aurait tenu des propos antisémites. L'Université libre de Bruxelles ainsi que Loach ont conjointement nié ces accusations[26].
En , dans le cadre de l’affaire Tariq Ramadan, il demande une « procédure équitable » pour Tariq Ramadan incarcéré depuis le après des plaintes pour viol[27].
Il est membre du Parti travailliste entre les années 1960 et les années 1990, le quittant en raison de désaccords avec la ligne politique de Tony Blair. Ayant réadhéré après l’élection à sa tête de Jeremy Corbyn, en août 2021, il annonce sur son compte Twitter avoir été exclu du parti pour avoir refusé de désavouer certains membres qui venaient d’en être chassés[30], il est compris que son exclusion était motivé par son parrainage du groupe Labour Against The Witchhunt[31], alors que le conflit israélo-palestinien divise le parti[32].
En 2023, il dénonce la crise des réfugiés en Angleterre et pointe comme responsable les politiques de Tony Blair, qui devrait, selon le cinéaste, rendre des comptes à La Haye[13].
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Loach se spécialise dans le réalisme social et aborde souvent dans ses films les situations difficiles au sein de la classe ouvrière britannique[34].
Marqué par le free cinema et par un cinéma documentaire britannique militant (John Grierson, Paul Rotha, Basil Wright et Humphrey Jennings)[3], Loach se distingue, dans son inspiration, par sa manière de faire fusionner réalité quotidienne et récit ample dans lequel il adopte ostensiblement le parti de ses protagonistes. Sa capacité à créer un lien d'empathie immédiat du spectateur pour ses personnages est notable. Ses réalisations sont caractérisées par une vision particulière de la réalité dépeinte : il veille à ce que dans chaque secteur de sa mise en scène, les liens entre les acteurs soient naturels au point que certaines scènes semblent ne pas avoir été scénarisées. Plutôt que d'employer des acteurs méthodiques, il préfère le talent d'inconnus ou d'amateurs qui ont vécu l'expérience réelle de la vie des personnages qu'ils incarnent, de sorte que plusieurs acteurs professionnels désirant travailler avec lui, feignent d'être issus de la classe ouvrière comme c'est souvent le cas des héros de ses scénarios. Pour Bread and Roses, il a choisi deux acteurs principaux qui ont eu une expérience de l'organisation d'un syndicat, ainsi que de la vie en tant qu'immigré. La comédienne principale Pilar Padilla a dû par ailleurs apprendre l'anglais afin de jouer son rôle et donner la réplique à Adrien Brody.
Loach essaye de s'assurer que les acteurs expriment de façon aussi vraie que possible les sentiments de leurs personnages en filmant l'histoire dans l'ordre des séquences et, chose cruciale, en ne donnant aux comédiens la liste quotidienne des dialogues à tourner que quelques minutes avant le début des prises. Il est fréquent que dans une scène, seuls quelques acteurs sachent ce qui va se passer. Les autres expriment un choc, de la tristesse ou de la surprise car ils sont réellement déroutés ou frappés par des événements dont ils ignorent la finalité.
Dans Kes, le garçon, découvrant l'oiseau mort à la fin, croyait que le réalisateur avait réellement tué le volatile auquel il s'était attaché durant le tournage (en fait, le cinéaste avait utilisé, sans l'en avertir, un autre oiseau, mort et semblable en tout point au vivant). Dans Raining Stones, un usurier rend visite à une des actrices dans sa maison et celle-ci ne se doute pas, au moment de la prise, qu'il va la forcer à enlever son alliance afin de la lui donner en acompte. Dans Sweet Sixteen, le personnage principal est censé tuer quelqu'un, mais d'autres acteurs l'en empêchent en lui sautant dessus. On voit alors à l'écran la surprise non simulée de l'acteur qui n'en a pas été informé et qui, au début, est totalement troublé. Le cinéaste cherche en effet une forme de vérité ultime qui confond état du personnage et de la personne qui l'interprète[3]. Au lieu du terme « réalisme » qu'il rejette, Loach préfère parler d'« authenticité »[3].
De fait, il s'écarte du romanesque et préfère peindre la vie d'individus à un moment précis (y compris lorsqu'elle est reliée à la grande histoire), ayant souvent recours aux longues focales qui écrasent les perspectives et enferment les personnages dans un environnement économique et social dont ils ne peuvent jamais s'échapper[3]. Le metteur en scène privilégie les tournages dans les régions ouvrières qu'il connaît : anciens bastions de la sidérurgie, la métallurgie et l'industrie minière, ravagés par la désindustrialisation et le chômage de masse[3].
Ken Loach est un adversaire farouche de la censure dans ses films et il fut outré par l'interdiction qui frappa Sweet Sixteen (interdit aux moins de 18 ans au Royaume-Uni). Il a lui-même indiqué :
« I think it was a very silly decision, such a patronising attitude as well. People are rarely hurt by swear words, yet you see scenes of violence depicted in films often with a 12 certificate. Some of these films have violence for the sake of it, try and push the certification boundaries. I think in my films that the violence is necessary to portray realism, it’s important to the narrative. And yes, it does put a smokescreen on society because it uses violence as a source of entertainment rather than its actual meaning[réf. nécessaire]. »
« Je pense que c'était une décision très stupide, une attitude aussi très hypocrite et condescendante. Les gens sont rarement blessés par des grossièretés, pourtant vous voyez maintenant souvent dans les films des scènes de violence tout à fait admises et validées. Certains films font de la violence pour le plaisir, essayent de repousser les limites de la certification. Je pense que dans mes films la violence est nécessaire pour représenter le réalisme, c'est important pour le récit et pour qu'on le comprenne. Et oui, on met un écran de fumée sur la société parce qu'on utilise usuellement la violence comme une source de divertissement plutôt que pour sa signification réelle. »
How to Make a Ken Loach Film (La méthode Ken Loach) est un documentaire interactif réalisé par Emmanuel Roy et produit par Sixteen Films, Upian et ARTE en 2016. Il explore comment Ken Loach met en scène sa vision du réel, en croisant la fabrication d’I, Daniel Blake avec le travail sur ses précédents films. Herbergé sur le site d'ARTE jusqu'en 2019, il est maintenant en accès libre sur howtomakeakenloachfilm.com.