Associé depuis la fin des années 1940 à l'art abstrait, un temps rapproché de l'action painting et de l'abstraction lyrique, il travaille hors de tout groupe et son œuvre échappe à tout positionnement théorique collectif. Particulièrement connu pour son usage des reflets de la couleur noire, qu'il appelle « noir-lumière » ou « outrenoir », il peut néanmoins être considéré comme l'un des principaux représentants de la peinture informelle.
Très tôt, il connaît un succès international important en se faisant remarquer dans deux pays en particulier : l'Allemagne et les États-Unis. Il est rapidement apprécié par une majorité de collectionneurs et reçoit le soutien de plusieurs personnalités importantes du monde de l'art américain, en pleine mutation au début des années 1950, comme le marchand d'art Samuel M. Kootz. Ses toiles entrent ainsi dès le début de sa carrière dans les collections des plus grands musées européens et américains.
En plus de soixante ans d'activité, il s'impose comme un des grands innovateurs de la peinture moderne et des plus féconds, réalisant plus de 1 700 peintures sur toile, 600 peintures sur papier, 120 estampes (gravures, lithographies, sérigraphies) ainsi que les 104 vitraux de l'abbatiale Sainte-Foy de Conques.
Biographie
Enfance et découverte de l'art
Maison natale du peintre, rue Combarel à Rodez.
Pierre Jean Louis Germain Soulages est né à Rodez le [1], rue Combarel[a],[2],[3]. Il est le fils d'Amans Soulages, carrossier (fabricant de voitures à cheval)[4], et d'Aglaé Zoé Julie Corp[5]. Amans Soulages avait été marié une première fois avec Lucie Pélagie Galtier, décédée en 1902 quelques semaines après avoir donné naissance à leur premier enfant, Gaston Pierre Amans Soulages[6].
En 1926, Pierre Soulage est élève à l'institution Saint-Joseph, un pensionnat fondé et dirigé par les Frères des écoles chrétiennes[b] et perd son père malade d'un cancer du pancréas[7],[8]. Il est désormais élevé par sa mère et sa sœur Antoinette[2], de quatorze ans son aînée[9]. « J'ai été élevé par deux mères qui portaient le deuil[4]. » Sa mère prend alors la charge d'un magasin d'articles de chasse et de pêche[4].
Dès son plus jeune âge, à Rodez, Soulages est fasciné par les vieilles pierres, les matériaux patinés et érodés par le temps, l'artisanat de son pays du Rouergue, passant beaucoup de temps dans les boutiques des artisans du cuir, du fer et du bois[10], et ses âpres paysages, particulièrement les Causses. Il a tout juste huit ans lorsqu'il répond à une amie de sa sœur aînée qui lui demande ce qu'il est en train de dessiner à l'encre sur une feuille blanche : un paysage de neige.
« Ce que je voulais faire avec mon encre, dit-il, c’était rendre le blanc du papier encore plus blanc, plus lumineux, comme la neige. C'est du moins l'explication que j'en donne maintenant[A 1]. »
À douze ans, alors qu'il est élève au lycée Foch, son professeur l'emmène, avec sa classe, visiter l'abbatiale Sainte-Foy de Conques[c],[2], où se révèlent sa passion de l'art roman et le désir confus de devenir un artiste[2]. En 1936, il obtient le 1er prix dans la catégorie « histoire de l'art » et « dessin »[11]. Il reçoit aussi, par l'intermédiaire de publications, le choc émotionnel des peintures rupestres des grottes du Pech-Merle dans le Lot[12], de Font-de-Gaume en Dordogne[12], d'Altamira en Cantabrie (Espagne)[2], puis de Lascaux en Dordogne (découverte en 1940)[12]. Plus tard, il accompagne dans ses recherches l'archéologue Louis Balsan et découvre lui-même, au pied d'un dolmen, des pointes de flèches et des tessons de poteries préhistoriques qui entrent au musée Fenaille de Rodez[2],[d] où il a été auparavant bouleversé par la collection des statues-menhirs datant du Néolithique (tout particulièrement la statue-menhir de la Verrière[13]).
À partir de 1934, Pierre Soulages commence à peindre quotidiennement, des paysages d’hiver, des arbres sans feuilles, noirs, se détachant sur des fonds clairs : « Ce qui m’intéressait était le tracé des branches, leur mouvement dans l'espace…[A 1]. » Des reproductions de lavis, faisant partie des collections du British Museum, des peintres Claude Lorrain (Paysage de la campagne de Rome, vue de Prato Longo) et Rembrandt (Hendrijke endormie) le marquent profondément : il retient la dilution des taches d'encre créant une lumière particulière chez le premier, la force et le rythme des coups de pinceaux qui illuminent par contraste le blanc du papier chez le second[14] : « Cette lumière, cet espace vivant, étaient ceux propres à chacune de ces deux œuvres, nés de leurs qualités matérielles : de l'évidence de leur technique, de leur « faire » qui leur donnait un accent de vérité que je qualifierais de pictural et que je préférais, et de loin, à leur pouvoir de représentation […]. Cette émotion naissait avec et par cette lumière, avec et par cet espace et ce rythme qui se créaient sous mon regard[e]. »
Après l'obtention de son baccalauréat, en , il part s'installer à Paris en septembre et s'inscrit à l'atelier privé du peintre et lithographe René Jaudon[f] (au 25 passage d'Enfer à Paris 14e arrondissement[15]), qui le remarque : « Il faut viser le prix de Rome ! Toutes les audaces vous seront permises[4] ! » Il peint notamment la toile Le Pont Neuf qui est vendue une première fois dès 1940 puis adjugée aux enchères à Nîmes80 ans plus tard[16]. À la demande de son professeur, il se présente au concours d'entrée à l'École des beaux-arts. Il y est admis en mais est vite découragé par la médiocrité et le conformisme de l'enseignement qu'on y reçoit. Pendant ce bref séjour dans la capitale, il visite le musée du Louvre, le musée de l'Orangerie où il admire Les Nymphéas de Monet et voit, à la galerie Paul Rosenberg, des expositions de Cézanne et Picasso qui sont pour lui des révélations, l'incitant à regagner Rodez pour se consacrer pleinement à la peinture.
D' à , il prépare le professorat de dessin à l'École des beaux-arts de Montpellier où il rencontre Colette Llaurens (née le )[18], qu'il épousera le de la même année à l'église Saint-Louis de Sète[20]. Réfractaire au STO, il obtient de faux papiers et devient régisseur dans le vignoble du mas de la Valsière à Grabels[I 1]. Il fait alors la connaissance de l'écrivain Joseph Delteil, qui croit en lui dès les premiers instants. Ce dernier lui dira : « Vous peignez avec du noir et du blanc, vous prenez la peinture par les cornes, c'est-à-dire par la magie[I 1]. »
Au début de 1943, il rencontre également Sonia Delaunay qui l'initie à l'art abstrait[21].
En , mobilisé à nouveau au moment de la Libération, il se rend à Toulouse où il se lie avec Vladimir Jankélévitch et son beau-frère Jean Cassou, qui va devenir l'un des premiers défenseurs de son œuvre. Démobilisé à la fin de cette même année, il retourne à la Valsière[I 1]. Entre 1942 et 1945, il ne peint quasiment pas[H 1].
L'après-guerre
Premières expositions
Le , Pierre Soulages s'installe dans la banlieue parisienne (à Courbevoie, au no 3 de la rue Saint-Saëns[I 1]) et se consacre désormais entièrement à la peinture. Rompant définitivement avec la figuration[J 2], il commence à produire des œuvres sur papier, utilisant le fusain ou le brou de noix, et de grandes toiles sombres[B 1], refusées au Salon d'Automne de 1946. Sur les conseils de son ami peintre Francis Bott[J 2], il en expose trois au quatorzième Salon des surindépendants (un salon sans jury) d'octobre à [2],[22], où celles-ci, d'une « impressionnante symphonie de sombres coloris »[23], contrastent avec les autres toiles présentées, compositions colorées des peintres Roger Bissière, Jean Le Moal ou Alfred Manessier qui dominent à l'époque : « Avec l’âge que vous avez et avec ce que vous faites, vous n’allez pas tarder à avoir beaucoup d'ennemis », le prévient alors Picabia[2],[24],[25] (rencontré un peu plus tard à la Galerie René Drouin), qui qualifie néanmoins une de ses œuvres de « meilleure toile du Salon »[I 1],[24],[h]. En , il trouve un atelier à Paris, au no 11 bis de la rue Victor-Schœlcher, près de Montparnasse[I 1],[i] (il occupera plusieurs ateliers dans la capitale ainsi qu'à Sète, dans sa villa sur les pentes du mont Saint-Clair[j], à partir de 1961[26]).
À partir de 1948, il expérimente la technique du goudron sur verre[22],[k]. Il participe à des expositions à Paris (« Prises de terre, peintres et sculpteurs de l'objectivité » à la galerie René Breteau en février[l], troisième Salon des réalités nouvelles en juillet[m]) et en Europe, notamment à la « Grosse Ausstellung Französische abstrakte Malerei » (un de ses brous de noix, traité en négatif, sert d'ailleurs d'affiche à l'exposition) organisée à partir de novembre[22] par le collectionneur Ottomar Domnick(de), dans plusieurs musées allemands, aux côtés des premiers maîtres de l'art abstrait comme Del Marle, Domela, Herbin, Kupka, Piaubert, etc.
Début de notoriété
En , il obtient sa première exposition personnelle à la galerie Lydia Conti à Paris (rue d'Argenson) et participe pour la première fois au Salon de mai (il y participera jusqu'en 1957) ; il expose également à la galerie Otto Stangl de Munich, à l'occasion de la fondation du groupe Zen 49, ainsi qu'à la galerie Betty Parsons de New York, en compagnie de Hans Hartung et Gérard Schneider, pour l'exposition intitulée Painted in 1949, European and American Painters[27]. La même année, le musée de Grenoble acquiert une de ses œuvres, Peinture 145 × 97 cm, , la première à entrer dans une collection publique[28].
Après avoir acheté en 1952 sa première peinture de Soulages à la Louis Carré Art Gallery, Samuel M. Kootz, le marchand d'art de Picasso aux États-Unis, écrit au peintre français fin pour lui demander de devenir son représentant américain. Dès le , le contrat est signé et Kootz organise dans sa galerie new-yorkaise réputée sa première exposition personnelle outre-Atlantique[I 1], du au , avec un texte d'introduction au catalogue rédigé par Bernard Dorival, alors conservateur au musée d'Art moderne de la Ville de Paris[33]. Pour cette occasion, Soulages réalise Peinture 195 × 130 cm, , qu'il envoie à New York avec neuf autres peintures et des gouaches[M 1].
En décembre de la même année, il transfère son atelier au no 48 de la rue Galande, dans le quartier de la Sorbonne, où il reçoit de nombreux artistes et collectionneurs[I 1]. Il se remet à la gravure (exposition personnelle de gouaches et gravures organisées par Heinz Berggruen à Paris).
En 1965, à la demande du musée Suermondt-Ludwig d'Aix-la-Chapelle, Soulages réalise son premier vitrail[36], mosaïque de verres éclatés offrant un dégradé de bleu qui « crée des différences de lumière et de couleur »[36].
En 1968, il crée une œuvre murale en céramique commandée par les propriétaires du One Oliver Plaza (suivant la suggestion de l'architecte William Lescaze), un immeuble à Pittsburgh. Composée de 294 carreaux de céramique formés à la main (28 × 28 cm), la pièce monumentale (3,92 × 6,16 m) est exécutée avec Jean Mégard (1925-2015) à Puyricard. Intitulée La céramique, , elle prend place dans le hall du building[J 3] (en 2010, la pièce est restaurée et réinstallée dans la Soulages Gallery du Butler Institute of American Art de Youngstown dans l'Ohio[J 3]).
Lors des Jeux olympiques de Munich en 1972, Soulages est retenu parmi les « meilleurs artistes de l'époque » pour réaliser une affiche[I 1]. Entre le printemps 1972 et le début de 1974, Soulages ne peint pas, première longue pause dans son œuvre sur toile[O 1]. Il se remet à l'eau-forte, à la lithographie et aborde pour la première fois la sérigraphie.
Au printemps 1974, il aménage son nouvel atelier au no 14 de la rue Saint-Victor (quartier Saint-Victor), au deuxième étage d'un immeuble du XVIIIe siècle.
En , lors d'un travail sur une toile, Soulages ajoute et retire du noir : « Depuis des heures, je peinais, je déposais une sorte de pâte noire, je la retirais, j'en ajoutais encore et je la retirais. J'étais perdu dans un marécage, j'y pataugeais. Cela s'organisait par moments et aussitôt m'échappait[38]. » Ne sachant plus quoi faire, il quitte l'atelier, désemparé. Lorsqu'il y revient deux heures plus tard : « Le noir avait tout envahi, à tel point que c'était comme s'il n'existait plus[39]. » Cette expérience marque un tournant dans son travail. La première toile recouverte intégralement de noir est Peinture 162 × 127 cm, , conservée au musée Fabre de Montpellier[J 4].
À l'automne de la même année, le Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou organise Soulages, peintures récentes, qui expose ses premières peintures monopigmentaires, fondées sur la réflexion de la lumière sur les états de surface du noir, qu'il appellera en 1990 outrenoir : « […] au-delà du noir une lumière reflétée, transmutée par le noir. Outrenoir : noir qui cessant de l'être devient émetteur de clarté, de lumière secrète. Outrenoir : un autre champ mental que celui du simple noir[I 1]. »
Consécration
Extérieur de l'abbatiale Sainte-Foy de Conques avec les vitraux de Soulages.
En 1986, il se voit confier par le ministère de la Culture, mené alors par Jack Lang, une commande exceptionnelle. Sept années de travail, en collaboration avec l'atelier du maître-verrierJean-Dominique Fleury à Toulouse, lui sont nécessaires pour réaliser les 104 vitraux pour les 95 fenêtres et neuf meurtrières de l'abbatiale Sainte-Foy de Conques (en remplacement de ceux posés en 1952). Ses longues recherches aboutissent à la création d'un verre unique, blanc et translucide, composé de grains de verre aggloméré et de verre cristallisé, diffusant ainsi la lumière à l’intérieur de l'édifice, tout en occultant ce qui se passe à l’extérieur[40]. Les nouveaux vitraux sont inaugurés le en présence du ministre de la Culture, Jacques Toubon[41].
Unanimement célébrés, les vitraux de Conques constituent selon le critique d'art Yve-Alain Bois« la seule vraie réussite dans cet art au cours du XXe siècle »[42].
Soulages a choisi l'abstraction, car il dit ne pas voir l'intérêt de passer « par le détour de la représentation […]. Je ne représente pas, dit-il, je présente. Je ne dépeins pas, je peins »[A 1]. Son approche picturale n'est pas celle de choix prédéfinis mais s'élabore dans la peinture en train d'être « faite » et dans les interactions entre le peintre et sa réalisation lors du processus de création, dans les rapports aux formes, proportions, dimensions, couleurs[53],[54], etc. À ses débuts, sa peinture est proche du style abstrait d'Hans Hartung, avec une palette restreinte dont les effets de clair-obscur sont perceptibles, y compris en transparence.
« Des anciens brous de noix et goudrons sur verre à ces outrenoirs récents, le parcours artistique de Pierre Soulages décrit un imprévisible chemin d'aventure et de renouvellement, et, en même temps, affirme une fidélité rigoureuse à une même quête, celle d'un art, dit-il, « qui ne transmet pas de sens, mais fait sens […], qui est avant tout une chose qu'on aime voir, qu'on aime fréquenter, origine et objet d'une dynamique de la sensibilité ». »
— Bruno Duborgel, in Soulages, dix-neuf peintures au Louvre, Bernard Chauveau Éditeur, 2020
Périodes et techniques
L'art de Soulages fonctionne par cycles. Il se fonde, comme l'écrit le critique Pierre Daix, « sur des approfondissements, des processus d’intensification concentrés dans des phases de création très ramassées »[55].
Le critique d'art Pierre Wat distingue cinq cycles, avant 1979, en fonction des techniques ou des matières employées ainsi que des variations de forme et de fond modifiant les caractéristiques des œuvres (formats, effets visuels)[H 2]. Ces cycles, dans une logique de l'exploration et de l’épuisement des moyens, étant chaque fois une nouvelle tentative de réponse à l'interrogation originelle du peintre sur le rapport entre matière, couleur et forme[H 2].
Les grands signes
1946-1949
« C'est avec les brous de noix de 1947 que j'ai pu me rassembler et obéir à une sorte d'impératif intérieur. »
Sur papier blanc[r], Soulages vient appliquer sa préparation au brou de noix (à l'origine destiné à teinter le bois) avec de larges brosses et trace des formes sombres, graphiques, parfois qualifiées de « signes », qui se détachent nettement du fond clair, la forme faisant écho à la lumière du fond[H 2].
« Un graphisme simple, viril, presque rude, des harmonies sombres et chaudes, un sens naturel de la pâte et des possibilités spécifiques de la peinture à l’huile, et surtout, peut-être un son à la fois humain et concret, voilà l’apport de Soulages à la peinture abstraite. »
Les formes-signes, pourtant dépourvues de signification, rappellent un semblant d'écriture cunéiforme. Elles dialoguent avec des fonds colorés non uniformes, créant ainsi des effets de clair-obscur. La forme sombre se transforme, les bandes de couleur s'élargissent, le contraste se fait sur des accords moins binaires.
« Venant d'un fond qui laisse apercevoir ses trouées de clarté entre les membres plus sombres d'une forme nouée, la lumière non seulement crée l'espace, mais, sans modeler à proprement parler la forme, la définit, l'écrit, l'installe, et souligne ses noirceurs d'une sorte de frange colorée. »
— Bernard Dorival, in Pierre Soulages, catalogue d'exposition, Paris, musée national d'art moderne, 1967
Le signe tend à disparaître au profit du rythme (agencement d'horizontales et de verticales)[H 2].
« Vers 1955, le signe tend à disparaître et ces coups de brosse se juxtaposent, se multiplient ; de leur répétition, des rapports qui s'établissent alors entre ces formes presque semblables les unes aux autres, naît un rythme, une rythmique de l'espace. »
À partir de 1959, la couleur (le blanc, le rouge, le bleu ou l'ocre), est posée sur la toile en premier, avant d'être recouverte d’un noir épais. Ce n'est que dans un troisième temps, celui de l'arrachage de matière, nommé parfois « raclage » et obtenu par des outils plus larges (une spatule à lame souple[55]), que le peintre fait réapparaître (il creuse au couteau la peinture fraîche) une partie de la couleur, sous le noir[H 2].
« À l'intérieur d'une gamme colorée certes réduite, privilégiant les terres, les ocres, les noirs, Soulages use maintenant volontiers d'effets de clair-obscur. Il fait apparaître une couleur plus claire par arrachement, raclant plusieurs couches de peinture pour révéler des couches inférieures. Par le jeu des opacités et des transparences, il fait sourdre la couleur-fond, et, venue de si loin, la lumière n'en paraît que plus intense. »
— Alfred Pacquement, in Soulages, catalogue d'exposition, Tokyo, The Seibu Museum of Art, 1984
Les grands formats
1963-1971
Le raclage disparaît presque complètement, la matière colorée devient plus fluide, les formes traitées en aplats s'étalent en largeur. Les tableaux Peinture 256 × 202 cm, (sur un fond brossé ocre clair transparent, la toile est partiellement envahie par une nappe noire très fluide qui efface tout geste de dépose), Peinture 97 × 130 cm, ou encore Peinture 162 × 130 cm, sont emblématiques de cette période.
« Voyez à l’exposition tous ces rouges, ces bleus, ces ocres qui, même dans les dernières toiles presque entièrement recouvertes d'une énorme tache
noire, éclatent, fusent, transpercent l'obscurité et semblent ramper sous la sombre écorce. »
À partir de 1967, l'introduction du polyptyque permet au peintre d'agrandir de façon conséquente les dimensions de l'œuvre tout en rompant la continuité de la surface picturale. Il oblige le « regardeur » à prendre du recul pour élargir son champ visuel et il crée des lignes de forces supplémentaires[K 1].
L'année suivante, il délaisse la couleur et ne travaille plus qu'avec le noir et le blanc, le noir ayant tendance à occuper une place de plus en plus importante dans la toile dont le format s'agrandit[H 2].
« J'ai commencé à faire une série de peintures en noir sur blanc, retournant à un ascétisme cistercien. J'ai senti personnellement le besoin profond, l'exigence de ce retour. »
Autre changement notable : les formes ordonnées et répétées, comme une écriture horizontale, à lire de gauche à droite. Par ce rythme, cette scansion musicale, l'artiste introduit dans son œuvre la dimension du temps[56].
« Le temps me paraît être une des préoccupations dont ma peinture témoigne ; c’est le temps qui me paraît être au centre de ma démarche de peintre, le temps et ses rapports avec l'espace. »
Retour pendant deux années du travail sur papier : eau-forte, lithographie et sérigraphie[O 1]. De janvier 1974 à 1978, Soulages se remet à peindre sur toile, entamant une transition qui le conduira, au fil d'une lente progression de la couleur noire vers l'occupation totale de l’espace pictural, aux futurs Outrenoirs[K 2]. Sur cette période, dans des formats essentiellement petits et moyens, il revisite son œuvre de la décennie précédente tout en y apportant de la nouveauté[K 2] : jeu subtil de superpositions de matières et de couleurs, créant un sentiment de profondeur sur la toile grâce à un arrangement de tons sombres épais sur des tons clairs fluides[K 2].
La rupture de 1979
Après 1979, ses tableaux font beaucoup appel à des reliefs, des entailles, des sillons dans la matière noire qui créent à la fois des jeux de lumière et de couleurs. Car ce n'est pas la valeur noire elle-même qui est le sujet de son travail, mais bien la lumière qu'elle révèle et organise : il s’agit donc d'atteindre un au-delà du noir, d'où le terme d'outrenoir utilisé pour qualifier ses tableaux depuis la fin des années 1970 ; d'où aussi l'utilisation du qualificatif « monopigmentaire » de préférence à celui de « monochrome » pour qualifier sa peinture. Pierre Encrevé caractérisera ainsi ses toiles : « monopigmentaires à polyvalence chromatique »[55]. Soulages évoquera « un basculement » pour signifier que ce n'est pas une rupture radicale avec le passé mais davantage une « rupture avec la conception classique de la peinture » qui s'efforce d'éliminer le reflet, contrairement à ses outrenoirs[J 5].
« Ses toiles géantes, souvent déclinées en polyptyques, ne montrent rien qui leur soit extérieur ni ne renvoient à rien d'autre qu'elles-mêmes. Devant elles, le spectateur est assigné frontalement, englobé dans l’espace qu’elles sécrètent, saisi par l’intensité de leur présence. Une présence physique, tactile, sensuelle et dégageant une formidable énergie contenue. Mais métaphysique aussi, qui force à l’intériorité et à la méditation. Une peinture de matérialité sourde et violente, et, tout à la fois, d’« immatière » changeante et vibrante qui ne cesse de se transformer selon l'angle par lequel on l'aborde. »
« La toile fonctionne dans sa matérialité noire texturée comme une image à produire l'infinie variation de son image lumineuse au gré du parcours de la lumière et du regard. »
— Pierre Encrevé, in Soulages : Noir lumière, Paris-Musées, 2003
Soulages a esquissé lui-même une typologie de ses tableaux, discernant « trois voies du noir » : « 1. Le noir sur un fond : contraste plus actif que celui de toute autre couleur pour illuminer les clairs du fond ; 2. Des couleurs, d’abord occultées par le noir, venant par endroits sourdre de la toile, exaltées par ce noir qui les entoure ; 3. La texture du noir (avec ou sans directivité dynamisant ou non la surface) : matière matrice de reflets changeants »[55].
L'outrenoir présente une variété d'effets : utilisation de couleurs comme le brun ou le bleu, mêlées au noir (ainsi d'avril 1987 à août 1988, Soulages peint 38 toiles toutes réalisées en intégrant le bleu et le noir[K 3].
) ; utilisation du blanc en contraste violent avec le noir et parfois du blanc sur l'entière surface de la toile (trois monochromes blancs peints en 2012[s]).
« Dans la proximité de l'outrenoir, le bleu vient renforcer cette transmutation du noir en lumière. Il ne s'agit plus alors d'un accord entre noir et bleu, mais au contraire, pour Soulages, d'un rapport tonal, d'une véritable continuité chromatique entre le bleu, l'outrenoir et la lumière qu'il réfléchit : la lumière naturelle est bleue et c'est pourquoi la couleur bleue va créer une continuité entre le noir et la lumière qu'il reflète. »
Le travail de la lumière par reflet se fait au départ, et pendant un certain nombre d'années, sur l'opposition parties lisses/parties striées mais, assez rapidement, il n'y a plus que des stries. Entre 1999 et 2001, le contraste noir et blanc fait son retour[H 3] mais sous une forme radicalement neuve[H 4]. Apparaissent aussi des panneaux entièrement lisses avec, dans le courant des années 2000, la coexistence d'un noir mat et d'un noir brillant[H 3],[H 4]. Il y a en outre une grande diversité sur le plan de l'approche de la surface, des formats (recours aux polyptyques, surtout verticaux) et dans la structure formelle[H 1].
2004-2022
En 2004, il abandonne l'usage de la peinture à l'huile pour celui, exclusif, de l'acrylique qui, riche de nouvelles possibilités quant à la réflexion de la lumière (effets de matière beaucoup plus importants et possibilité de contrastes mat/brillant), permet de modeler l'épaisseur, sèche assez rapidement sans craqueler même lorsque la couche est profonde[57]. À partir de cette année-là, Soulages inaugure ce que Pierre Encrevé nomme la « seconde période de l'outrenoir »[56].
« Depuis 2004, Soulages ne travaille plus avec de l'huile mais avec des résines autorisant des épaisseurs qu'il n'avait jamais atteintes ; sur une surface noire unie, brillante, émettrice d'une clarté apaisée, il grave un à un des sillons de plus en plus profonds rythmant l'espace de la toile, de larges entailles sensuelles provoquant une émotion troublante dans la grandeur majestueuse d'un silence proprement pictural. »
— Pierre Encrevé, in 90 Peintures sur toile, Gallimard, 2007
Œuvre gravé et imprimé
L'œuvre imprimé de Soulages est rare, limité à 43 gravures, 49 lithographies, 26 sérigraphies, soit 118 œuvres[O 1], avec des tirages allant de 65 à 300 exemplaires. Si les premières œuvres sont directement liées à des peintures sur toile ou sur papier, les suivantes sont sans lien avec ses peintures antérieures ou à venir. Soulages utilise alors la gravure comme un moyen d'expression à part entière, créant des œuvres qui tirent parti des spécificités de chaque technique de gravure.
Œuvres sur papier
« Par impatience, un jour, dans un mouvement d’humeur, muni de brou et de pinceaux de peintre en bâtiment, je me suis jeté sur le papier. »
Depuis ses débuts, à côté de sa pratique de la peinture sur toile, Soulages élabore une œuvre parallèle et complémentaire sur papier à l'aide de différents médiums (l'encre de Chine, la gouache, le brou de noix, le fusain ou encore la mine de plomb)[F 1]. Il a d'abord recours au papier parce que c'est un support banal, bon marché (tout autant que le brou de noix) et qu'il peut se permettre de le gâcher sans regret, lui qui dans les années d'après-guerre est désargenté. Le papier a aussi plusieurs autres avantages : ses formats sont tout prêts et contraints (l'artiste peut se lancer sans préalable, au contraire de la toile qui impose de fabriquer le châssis ou de préparer le support), il interdit le repentir et, le travail se faisant nécessairement vite, favorise la spontanéité et permet ainsi d'effectuer un nombre important de peintures dans une même journée[F 1].
Ces « peintures sur papier » (l'expression a été choisie par Soulages lui-même[F 1]), dont le nombre est estimé entre sept et huit cents œuvres[F 1], constituent un ensemble unique au sein de sa production, qui s'étend de 1946 à 2004. La plus grande partie a été peinte de 1946 à 1978, période où elle se développe parallèlement à la peinture sur toile mais indépendamment d'elle[F 1], l'année 1977 étant particulièrement prolifique puisqu'il réalise près d'une centaine d'œuvres sur ce support pour seulement trois peintures sur toile[K 4]. À la suite de sa découverte de l'Outrenoir en 1979, Soulages délaisse le papier jusqu'en 1997[K 5].
Elles ont fait l'objet de plusieurs expositions : à la Galerie de France en 1963 (Peintures sur papier du au ) et en 1977 (Bronzes et peintures sur papier du au ), au musée Picasso d'Antibes du au , intitulée Soulages. Papiers, présentant quatre-vingt-seize de ces œuvres[F 1] et en 2018-2019 au musée Soulages de Rodez, intitulée Pierre Soulages, œuvres sur papier - Une présentation, réunissant cent dix-sept d'entre elles.
Tapisseries
Dès 1963 Soulages crée deux cartons de tapisserie d'Aubusson. Tissées d'une seule pièce par les Ateliers Pinton à Felletin, la première (5,58 × 11,78 m) est réalisée pour le foyer des artistes (foyer C) des studios de variétés de la Maison de la Radio à Paris, la seconde (3 × 8,1 m) pour le campus de l'Université de Saint-Gall en Suisse. Le peintre n'a pas voulu donner de titre à ces œuvres.
Dans les années 1970, des tapisseries sont tissées d'après peinture, validées et signées par Soulages après exécution. C'est le cas pour celle réalisée par l'atelier Claire Rado (d'après Peinture 97 × 130 cm, ) ou en 1975 par l'atelier Geneviève Goudot-Romain[N 1].
En 1984, Soulages reçoit une commande publique pour la réalisation de deux tapisseries destinées à orner une salle du nouveau bâtiment du ministère des Finances. Attelé au projet dès 1985 au sein de la manufacture de la Savonnerie, il livre deux cartons peints au brou de noix puis, l'année suivante, met au point avec les teinturiers les différents tons qu'il désire voir rendus. Les tapisseries Savonnerie I, 4,30 × 10,75 m, 1985 et Savonnerie II, 4,30 × 10,75 m, 1985 sont terminées et livrées en 1991.
Sculptures
Soulages fait revivre trois plaques de cuivre préalablement utilisées pour leur empreinte sur le papier : elles sont agrandies, moulées, fondues et pliées[J 6]. Il en résulte trois bronzes, polis ou creusés directement par l'artiste : Bronze I (1975), Bronze II (1976) et Bronze III (1977), pièces uniques tirées à trois ou cinq exemplaires[J 6].
« La planéité ayant disparu, il y avait des sortes d'ondulations que je pouvais ou renforcer en les polissant, ou creuser même en les attaquant directement. J'ai joué avec la lumière qui brillait sur les surfaces lisses et l'ombre qui était là, fixe, à l'endroit qui correspondait à ce que j'avais gravé autrefois sur le cuivre. »
« Devant moi s'étendait une sorte de flaque de métal fondu, belle étendue éclairée par la lune : c’était l'étang de Thau. Je distinguais la silhouette du mont Saint-Clair avec la mer pour seule ligne. J'ai pensé au mot de Van Gogh en arrivant à Arles : « C'est aussi beau que le Japon. » Et pour moi, cette vision de Sète, c'était mon Japon. Au fond de moi, j'ai décidé que je reviendrai là un jour. »
Dès la fin des années 1940, beaucoup de critiques font des rapprochements entre les grands signes noirs que peint Soulages (notamment ses premières œuvres au brou de noix) et la calligraphie japonaise[L 1]. Sa peinture est même qualifiée de calligraphique puis d'architecturée.
« Pour moi, une peinture c'est toujours quelque chose d'immobile […]. La ligne est là comme preuve du mouvement et non pas comme mouvement même. »
— Pierre Soulages, in Raymond Bayer, Entretiens sur l'Art abstrait, Genève, Editions Pierre Cailler, 1964
La relation entre Soulages et le Japon débute en 1951 lorsque le Salon de mai y est organisé pour la première fois. Soulages y expose sa première toile, Peinture 200 × 150 cm, [E 1]. Il fait partie des premiers peintres occidentaux abstraits que les Japonais ont pu voir[L 1]. Jusqu'en 1945, en effet, l'art occidental et abstrait n'avait pas le droit de cité dans le pays. Ce fut donc pour eux un choc esthétique[L 1]. Son style tranche avec le néofauvisme qui domine alors parmi les artistes modernes nippons[E 1] et il attire l'attention de Morita Shiryū, calligraphe qui fondera en janvier 1952 avec Yūichi Inoue et Nakamura Bokushi le groupe d'avant-garde Bokujin(en) (littéralement « les hommes de l'encre »).
« Et les calligraphes expliquaient […] que s'ils s'intéressaient à mon travail, c'est peut-être aussi parce que comme la calligraphie, c'était un art de l'outil, un art du pinceau. Il y avait quelque chose en commun. »
Dès 1953, avec eux, il expose à la galerie tokyoïte Bokubi et participe à l'exposition internationale d'art du Japon, biennale itinérante qui sélectionne quatre de ses peintures. À la même époque, une génération d'artistes et d'intellectuels se rendent à Paris. Les premiers, notamment Toshimitsu Imaï, seront impressionnés et influencés par son utilisation du noir. Les seconds, de retour dans leur pays, écriront sur l'art abstrait français et particulièrement sur Soulages[L 1]. Lors de l'édition de 1957, le Grand prix lui est attribué pour Peinture 195 × 130 cm, [E 1].
« Ce qui plaît alors beaucoup aux Japonais, c'est le rapport des pleins et des vides qui entre en résonance avec la conception artistique asiatique. »
En , Pierre et Colette Soulages partent au Japon en compagnie du peintre et ami Zao Wou-ki. Les Soulages rencontrent à Tokyo les calligraphes du groupe Bokujin, le sculpteur et maître de l'art traditionnel ikebanaSōfu Teshigahara et des collectionneurs avertis : Shōjirō Ishibashi, fondateur du musée Artizon et Soichirô Ôhara (1909-1968) à la tête du musée d'art de Kurashiki qui, l'année suivante, fera entrer la première toile de Soulages dans une institution japonaise : Peinture, 162 × 130 cm, [E 1]. Fasciné par la culture japonaise, et très sensible au théâtre Nô, le peintre prolonge son séjour et reste six mois sur place. À partir de là, un dialogue artistique et culturel s'engage avec le pays du Soleil levant. Il se lie ainsi d'amitié avec des personnalités de l'art tels les peintres Toshimitsu Imaï, Kumi Sugaï, Hisao Dōmoto et Mami Mori, mais aussi avec des intellectuels tels le poète Itsuji Yoshikawa (1908-2002) ou l'historien de l'art Shūji Takashina.
À Nara et à Kyoto, les révélations esthétiques se succèdent pour le peintre attiré par l’architecture traditionnelle en bois des temples et des résidences impériales. Au Pavillon d'or, ce sont la disposition des rochers dans le lac et le rapport à l'espace qu'ils dessinent qui le séduisent. De même que le célèbre jardin sec du Ryōan-ji voisin. Il aime, évoquant son « émotion infinie », ce rectangle parcouru de sillons de fin gravier, cet espace né de l'agencement des pierres[E 1] et y voit une construction géométrique et métaphysique[L 2].
« Quand j’ai vu Ryōan-ji et Kinkaku-ji à Kyoto, cela m’a rappelé mes souvenirs d’enfance. »
En 1984, à l'initiative du mécène Tsujii Takashi, une rétrospective est consacrée à Soulages au musée d’art Seibu de Tokyo. Les Outrenoirs présentés sont l'occasion d'un nouveau rapprochement avec l'art traditionnel de la laque[E 1].
Soulages a réalisé plus de 1 700 toiles[59] dont les titres sont pour la plupart composés du mot « peinture » suivi de la mention du format[u]. Sa toute dernière œuvre, réalisée dans l'atelier de Sète, est datée du [60]: Peinture 102 × 130 cm, .
Hommages
Il est l'une des personnalités à l'origine de la création de la chaîne de télévision Arte[61],[62].
Un timbre-poste Pierre Soulages est émis en France en 1986[63].
Il est le premier artiste vivant invité à exposer au musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg (), puis à la galerie Tretiakov de Moscou (septembre de la même année). À partir de 2002, il est même le seul peintre vivant à avoir une toile conservée en Russie : Peinture 220 × 324 cm, , acquise par le musée de l'Ermitage et exposée au quatrième étage du bâtiment de l'État-Major, salle 444[J 7].
En 2007, le musée Fabre de Montpellier lui consacre une salle pour présenter la donation faite par le peintre à la ville. Cette donation comprend vingt tableaux de 1951 à 2006, parmi lesquels des œuvres majeures des années 1960, deux grands outre-noir des années 1970 et plusieurs grands polyptyques.
Lors de l'exposition temporaire en 2012-2013 intitulée Soulages XXIe siècle, le musée des Beaux-Arts de Lyon acquiert trois toiles qui figurent dans l'espace permanent des peintures contemporaines.
En juin 2023, le collège public Kervallon sur la commune de Marcillac-Vallon est renommé collège Pierre-Soulages[65].
L'édition 2023 du prix Nougaro, concours d'écriture d'Occitanie destiné aux jeunes de 15 à 25 ans, lui rend hommage, avec une catégorie spéciale « Ò Mon País » dont le thème imposé est l'espoir[66].
Créations autour du peintre et de ses œuvres
Le compositeur Gilles Racot compose Noctuel ou Hommage à l'œuvre de Pierre Soulages, une pièce pour basson et électroacoustique créée le [67] puis Noir Lumière, commande de l'État pour l'anniversaire des 100 ans du peintre, créée à la Maison de la Radio et de la Musique le [68].
En , le compositeur suisse William Blank crée la pièce Reflecting Black, pour piano et orchestre, « inspirée par le souvenir de l’expérience vécue lors de la contemplation des toiles de Soulages ». Commandée par l'Orchestre de la Suisse romande, elle est jouée en première mondiale au Victoria Hall de Genève sous la direction de Dennis Russell Davies avec David Lively au piano[69].
En 2022, la maison horlogère suisse Baume & Mercier réalise une montre « hommage à Pierre Soulages » de la collection « Hampton » (lancée en 1994) au cadran rectangulaire, inspirée librement d'un Outrenoir, Peinture 390 × 130 cm, , produite à la demande, dans la limite de 102 pièces (en écho à l'âge de l'artiste) et individuellement numérotée[71],[72].
À l'occasion de son 90e anniversaire, le Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou présente du au la plus grande rétrospective qu’il ait jamais consacrée à un artiste vivant depuis le début des années 1980, avec plus de 2 000 m2 d'exposition[74]. Malgré trois semaines de fermeture en raison d'une grève du personnel, l'exposition reçoit 502 000 visiteurs, se classant en quatrième position des expositions les plus fréquentées de toute l'histoire du Centre Pompidou. Parallèlement, le musée du Louvre expose la même année une toile de l'artiste, Peinture 300 × 236 cm, , dans le Salon Carré de l'aile Denon[75].
100 ans au Louvre
À l'occasion de son 100e anniversaire[76],[77], le musée du Louvre présente du au une rétrospective dans le Salon Carré de l'aile Denon avec dix-neuf toiles empruntées notamment au MoMA de New York, à la Tate Modern de Londres ou à la National Gallery of Art de Washington ainsi que des œuvres récentes de l’artiste[78],[79]. Pour cet événement, il a créé en août et trois nouvelles toiles (Peinture 390 × 130 cm, , Peinture 390 × 130 cm, et Peinture 390 × 130 cm, )[80], peintures verticales de grand format pensées uniquement pour cette exposition et en fonction de l’espace qui leur était réservé[81]. Le peintre devient ainsi, après Chagall (en 1977) et Picasso (en 1971), le troisième artiste à connaître de son vivant l'hommage d'une rétrospective au Louvre[80].
Commentaires
Léopold Sédar Senghor : « La première fois que je vis un tableau de Pierre Soulages, ce fut un choc. Je reçus, au creux de l'estomac, un coup qui me fit vaciller, comme le boxeur, touché, qui soudain s'abîme[v]. »
Selon le critique d'art Jacques Bouzerand, « il figure parmi les 10 ou 15 noms de nos deux siècles (XXe et XXIe siècles) qui compteront à jamais dans l'histoire mondiale de l'art[82]. »
En 2014, François Hollande le décrit comme « le plus grand artiste vivant dans le monde »[83].
Marché de l'art
Une cote de plus en plus élevée
Dans les années 1950 et 1960, les œuvres de Soulages se vendent à la Koozt gallery de New York, plus cher que celles de Mark Rothko[J 8]. Elles sont achetées par les plus grands collectionneurs, notamment par les metteurs en scène d'Hollywood, comme Otto Preminger ou Charles Laughton[J 8].
Dès le début des années 1980, la cote de Soulages affiche des enchères supérieures à 100 000 francs et, en 1986, elle enregistre un score à plus de 500 000 francs. C'est ensuite l'enchère historique de 264 000 livres (soit 2,65 millions de francs de l'époque), prononcée en à Londres sur un grand format de 1961[84].
En , le Bronze II (66,5 × 88 cm) datant de 1976, s'est adjugé à l'hôtel Drouot par l'étude Beaussant-Lefèvre pour un montant record de 685 800 euros[85]. Au cours de cette même année, ses œuvres vendues aux enchères atteignent un produit de ventes historique de 55,6 millions de dollars. Soulages se classe alors comme le 34e artiste le plus performant des enchères au niveau mondial, toutes époques de création confondues[86].
Depuis , et la vente par Sotheby's Paris d'une huile sur toile de grand format datant de 1959 pour 1,35 million de dollars[88] (à l'époque, un record mondial pour l'artiste[89]), quatre-vints toiles du peintre français ont dépassé le million de dollars en salles des ventes[86].
Peintre français vivant le plus cher (à sa mort)
Le , sa toile, Peinture 130 × 162 cm, , s'est vendue à 2,85 millions de dollars (2 millions d'euros) à Paris[88].
Le , après que sa toile, Peinture, , s'est vendue à 4,3 millions de livres (5,1 millions d'euros) à Londres[90], il devient l'artiste français vivant le plus cher aux enchères[91]. Cette année là, sa côte augmente de 42 %[90].
Le , sa toile Peinture 162 × 130 cm, s'est vendue à 6,1 millions d'euros à Paris, devenant ainsi son œuvre la plus chère aux enchères[92].
Le , après que sa toile, Peinture 186 × 143 cm, s'est vendue à 11 millions de dollars, soit 9,2 millions d'euros, (battant le record de l'année précédente) à New York, il devient le premier artiste français vivant à dépasser les dix millions de dollars, intégrant ainsi un club très fermé[93].
Le , sa toile, Peinture 146 × 114 cm, s'est vendue à 5,5 millions de livres (6,48 millions d'euros) à Londres[94].
Le , sa toile, Peinture 200 × 162 cm, s'est vendue à 9,6 millions d'euros à Paris[95], surpassant le précédent record.
Le , sa toile, Peinture 195 × 130 cm, s'est vendue à 20,2 millions de dollars (17,8 millions d'euros) à New York, dépassant largement le record établi en 2019[96].
Après sa mort
Le , le jour même où se déroule au musée du Louvre l'hommage solennel à Pierre Soulages, un tableau de l'artiste (Peinture 102 × 81 cm, ) est adjugé pour 960 000 euros (hors frais) par la maison Aguttes à Neuilly-sur-Seine[97],[98]. L'acquéreur est un collectionneur privé français[97]. Les dimensions réduites de cette œuvre expliquent ce montant relativement peu élevé[98]. Il s'agit de la première vente d'un Soulages depuis la mort de l'artiste[98].
Le , sa toile Peinture 92 × 65 cm, , issue de la collection de David Solinger, s'est vendue à 2 000 000 de dollars (hors frais) par Sotheby's à New York, dépassant largement l'estimation de départ[99].
Le , sa gravure Eau-forte XXXVI, 1979 s'est adjugée à 48 000 euros par la maison de vente Millon à Paris, approchant le record pour l'une de ses œuvres imprimées, établi le avec Eau-forte IX, 1957 vendue à 50 000 euros par la même maison[100].
Le , une huile sur toile Peinture 54 × 81 cm, 1951 et une acrylique Peinture 117 × 130 cm, , provenant de deux collections privées, se sont vendues respectivement à 882 000 euros (dépassant la fourchette d'estimation) et 630 000 euros chez Christie's à Paris[101].
Le , une huile sur toile Peinture 130 × 162 cm, , issue de la collection de Hubert Guerrand-Hermès, est vendue 3 307 470 dollars par Sotheby's à New York, le montant le plus élevé pour une œuvre de l'artiste datant des années 1970[102].
Ce musée abrite à Rodez la plus grande collection au monde de l'artiste. Pierre Soulages accepte en 2005 de léguer plus de 500 œuvres regroupant toutes les techniques employées au cours de sa carrière : peintures, eaux-fortes, sérigraphies, lithographies ainsi que les ébauches des travaux des vitraux de l'abbaye de Conques. Cette donation est complétée par les cessions de 2012[103], 2020[104] et 2023[105].
Le musée consacre 500 m2 de son espace d'expositions temporaires à d'autres artistes[106]. L'artiste pose lui-même la première pierre du musée le . Son inauguration a lieu le .
Principales collections publiques
Aujourd'hui, plus de 230 de ses œuvres se trouvent dans 110 musées de par le monde[107].
Conques, les vitraux de Soulages (préface de Georges Duby, textes de Christian Heck et Pierre Soulages), Éditions du Seuil,
Noir lumière (entretiens avec Françoise Jaunin), Lausanne, La Bibliothèque des arts,
De la pertinence de mettre une œuvre contemporaine dans un lieu chargé d'histoire (entretiens avec Jacques Le Goff, préface de Xavier Kawa-Topor, photographies Pascal Piskiewicz), Toulouse, Le Pérégrinateur Éditeur,
Sur le mur d'en face (texte et sérigraphies originales de Pierre Soulages dont 3 hors-texte signées et numérotées, tirage limité à 75 exemplaires), Paris, FB Éditions,
Poèmes (recueil bilingue de Itsuji Yoshikawa, illustré d'un brou de noix inédit de Soulages créé en 1948, tirage limité à 500 exemplaires), Montpellier, Éditions méridianes,
Notes et références
Notes
↑Cette maison de trois étages située au no 4 de la rue Combarel est acquise en 2014 par la communauté d'agglomération du Grand Rodez qui souhaite en faire une résidence d'artistes.
↑Cette institution catholique, fondée en 1745, perdure encore de nos jours.
↑C'est en fait sa seconde visite à l'abbatiale Sainte-Foy ; la première avec sa mère ne lui avait pas donné d'inspiration. Cette seconde visite est déterminante :
« Je suis revenu par la suite avec un professeur du lycée et là, j'ai véritablement découvert l'espace intérieur de cette abbatiale. C'est ce jour-là que je me suis dit que je voulais être peintre, et non architecte. Ma sœur […] m'a offert une boîte de couleurs. Elle avait beau me dire : « C'est joli les couleurs », je préférais dessiner avec l'encre des encriers »
↑Une étiquette le mentionne parmi les membres d'une équipe ayant fait don des résultats des fouilles d'un dolmen de la région.
↑Cité dans l'article Pierre Soulages : peintures de Maïten Bouisset dans la revue Artstudio no 9, p. 62-73, .
↑Soulages en est l'élève pendant huit mois, précision rappelée par Pauline Mérange dans son article « Pierre Soulages à Lausanne – Le noir transmuté », parus dans la revue Cimaise, no 293, .
↑« Il y avait aussi Zurbarán avec sa Sainte Agathe jaillie de la pénombre et ses seins sur un plateau de métal, Campaña avec sa ténébreuse Descente de croix pyramidale sur un ciel clair. » Cité par Pauline Mérange dans la revue Cimaise no 293, .
↑Le couple Soulages croisaient dans l'escalier Jean Paul Sartre venant rendre visite à Simone de Beauvoir qui y habitera juste à l'étage au-dessous, de 1955 jusqu'à sa mort en 1986. Mentionné par Michel Ragon dans son livre Les Ateliers de Pierre Soulages, p. 90, 1990.
↑Trois sont aujourd'hui conservés : Goudron sur verre 45,5 × 76,5 cm, 1948-1, Goudron sur verre 45,5 × 45,5 cm, 1948-2 et Goudron sur verre 76,5 × 45,5 cm 1948-3.
↑Soulages y expose la toile Peinture 100 × 81 cm, .
↑Durant cette période, Soulages réalise en parallèle des huiles sur toile mais en nombre limité (dix seulement pour l'année 1948).
↑Il s'agit de Peinture 102 × 130 cm, , Peinture 92 × 81 cm, et Peinture 55 × 46 cm, cités par Éric de Chassey dans l'ouvrage Les derniers Soulages: 2010-2022 p. 33, 2023.
↑Témoignage de Soulages répondant aux questions de Pierre Daix dans le magazine d'Antenne 2Désirs des arts, diffusé le .
↑À partir du , Soulages systématise la mention de ces titres. La date y figure ensuite en tant que complément hors titre.
↑Cité par Michel Ragon, Les Ateliers de Pierre Soulages, Paris, Albin Michel, p. 50, .
Fabrice Bousteau, Pierre Wat, Benoît Decron, Emmanuelle Lequeux et Christophe Donner, Soulages : Au Centre Pompidou, Paris, Hors-série du magazine Beaux Arts, TTM éditions, , 51 p. (ISBN978-2-84278-694-6).
Benoît Decron, Musée Soulages : à Rodez, Paris, Hors-série du magazine Beaux Arts, TTM éditions, , 60 p. (ISBN979-10-204-0102-1).
Philippe Palat, D'un siècle à l'autre, Pierre Soulages, le noir en lumière, Toulouse, Hors-série du journal Midi libre, , 178 p. (EAN378-0027-40450-6).
Gilles Dyan et Fatiha Amer, Pierre Soulages, Une expérience au présent, Paris, Opera Gallery, , 79 p.
Matthieu Séguéla, Hommage à Pierre Soulages, Montpellier, Numéro spécial du magazine L'Art-Vues, , 99 p. (ISSN1164-7531).
Autres ouvrages cités
Pierre Soulages, Noir lumière, entretiens avec Françoise Jaunin, Lausanne, La Bibliothèque des Arts, , 157 p. (ISBN978-2-88453-104-7)
↑cité in : Les couleurs du noir : entretien avec Pierre Soulages, catalogue d'exposition, Lausanne, Galerie Alice Pauli, 1990, p. 13.
↑cité in : Pierre Soulages, Entretien avec Christophe Donner, Op. cit., 2007, p. 52.
↑Christian Heck, Pierre Soulages, Jean-Dominique Fleury, Conques : les vitraux de Soulages, photographies de Vincent Cunillère, préface de Georges Duby, Paris, Seuil, 1994, 115 p. (ISBN9782020225939).
↑ abc et dJean-François Lasnier, « « L'art est la seule chose qui mérite qu’on lui consacre sa vie » : Soulages, le noir pour origine », Connaissance des arts, .
↑Jean-Michel Meurice, La véritable histoire des origines d'ARTE par l'un de ses créateurs, Article paru dans la revue Télévision no 2, CNRS Éditions, 2011, p. 35 à p. 51.
Pierre Daix, Pierre Soulages, Neuchâtel, Ides et Calendes, coll. « Polychrome »,
Pierre Encrevé, Soulages. Les Peintures. 1946-2006, Paris, Seuil, (réédition intégrale du texte qui accompagnait les reproductions des 1 174 toiles référencées dans les trois premiers volumes du précédent ouvrage, augmentée d'un chapitre concernant les 130 toiles de la période 1997-2006, mais avec beaucoup moins de reproductions)
Pierre Encrevé, Soulages, l'œuvre imprimé, Paris, BnF éditions, ; réédition en 2011 et 2022 (catalogue raisonné de l'intégralité de l'œuvre imprimé dans les trois techniques de l'estampe : gravure, lithographie et sérigraphie)
Pierre Encrevé, Soulages, les papiers du musée, Paris, Gallimard,
Benoît Decron, Œuvres sur papier, Rodez, Musée Soulages, ; réédition en 2022
Michel Mitrani, Pierre Soulages, un atelier à Sète, 8 minutes, série Terre des arts de l'ORTF, production de Jean-Luc Déjean et Max-Pol Fouchet, diffusé le (en deuxième partie de soirée), écrit et présenté par Max-Pol Fouchet
Jean-Michel Meurice, Pierre Soulages, 1963, 13 minutes, série Art vivant, production Georges Derocle
André Romus, Pierre Soulages, 1978, 55 minutes, 35 mm couleur, diffusé sur la RTBF
Claude Imbert, Soulages et l'Aveyron, 5 minutes, collection Le nouveau vendredi, produit et diffusé le sur la chaîne FR3
Jean-Michel Meurice, Pierre Soulages, 1980, 55 minutes, 35 mm couleur, produit et diffusé le sur la chaîne TF1 (Grand Prix du Festival du film d'art, Paris, 1982) [lire en ligne]
Reiner Holzemer et Thomas Honickel, Tout vient du noir et se perd dans le blanc, documentaire télévisé diffusé le sur la chaîne Arte, 54 minutes
Nicolas Valode et Pauline Cathala, Pierre Soulages, la lumière du noir, série La Grande Expo, no 8, 2014, 54 minutes, production Let's Pix, Arte édition/les Incontournables, documentaire télévisée diffusé sur la chaîneParis Première
Sophie Bergé-Fino, J'ai rencontré Soulages, émission L'Œil et la Main, 30 minutes, diffusée le sur France 5
Stéphane Berthomieux, Pierre Soulages, sous-titre : « C'est ce que je fais qui m'apprend ce que je cherche », DVD, Éditions Montparnasse, , 52 minutes, incluant les compléments vidéo Chez Pierre Soulages (17 min), Galerie Levy Gorvy, New York (4 min), Galerie Perrotin Tokyo (3 min), Les Outrenoirs de Pierre Soulages (2 min), Enchères Sotheby's (1 min), Musée Folkwang/Essen (1 min)
Jean-Noël Cristiani, Soulages, un siècle, Yumi Productions/Musée Soulages, documentaire télévisé diffusé le sur la chaîne France 3 Occitanie, 52 minutes
Anne-Camille Charliat, Noir-lumière. La peinture de Pierre Soulages en dialogue avec la science, 2020, 26 minutes, Artemisia Productions
Anne-Camille Charliat, Éclairer la Nuit. Regards poétiques entre Pierre Soulages et Léopold Sédar Senghor, 2021, Artemisia Productions
« Pierre Soulages ou la lumière agissante », sur radiofrance.frRediffusion, le , d'une émission de Marie-Christine Navarro, Le bon plaisir de Pierre Soulages, diffusée pour la première fois le .